Epicerie, tea-room, pizzeria: des petits commerces remplacent les offices de Poste

Epicerie, tea-room, pizzeria: des petits commerces remplacent les offices de Poste. Les usagers s’y retrouvent-ils? Reportage dans plusieurs communes genevoises.

Vendredi matin, 8h15. L’Epicerie d’Hermance a déjà ouvert ses portes. Les denrées y sont présentées avec minutie, le lieu respire la propreté. Sur le côté, une longue table en bois massif permet de s’asseoir pour boire le café. Face aux savons, dans un espace qui devait autrefois servir de cagibi, une petite pièce en «L» accueille l’agence de la Poste. Large d’environ deux mètres, l’installation – toute jaune – comprend un plan pour écrire et définir le format du courrier, un automate avec distributeur de timbres et écran tactile, et un espace pour déposer lettres et colis.

> Lire l’éditorial: Le bonjour du facteur bientôt facturé?

L’Epicerie d’Hermance, comme d’autres commerces, propose des services postaux depuis que le vrai bureau de poste a, lui, fermé ses portes. Un modèle que le Géant jaune rêve d’accroître et généraliser dans toute la Suisse. «Quand j’ai repris le commerce, en 2011, il comprenait déjà l’agence postale, je n’ai donc pas de point de comparaison, mais la charge de travail est supportable et rentable», estime Vincent Sastre, le gérant.

«Report de charges sur le client»

Et les usagers, qu’en pensent-ils? Une femme vient chercher un recommandé en coup de vent: «Les horaires étendus m’arrangent car je travaille à 100%», souffle-t-elle sur le pas de la porte. Entre une autre cliente, Nathalie. Perplexe face au présentoir, elle demande de l’aide au gérant qui lui fait une démonstration. La cliente souhaite envoyer une lettre en recommandé express pour la France. L’opération est indisponible ici: ce sera donc un recommandé normal.

Utilisatrice régulière des services postaux, Nathalie a pris l’habitude de fréquenter plutôt l’office de Vésenaz. «Ici l’ambiance est sympa, mais ce n’est pas la même chose. Par exemple, on m’a dit qu’il n’y a pas de poste restante.» «Oui, il y a», rétorque Vincent Sastre, qui écoute la conversation depuis son comptoir. De quoi alimenter la confusion sur l’éventail des services proposé en agence.

Selon le gérant, il est possible de faire la majorité des opérations: retirer de l’argent, acheter des timbres, récupérer un colis ou un recommandé, faire ses paiements, etc. «Au fond, ce qui m’énerve c’est l’automatisation, remplacer les gens par des automates», explique Nathalie.

Moins de personnes pour effectuer les tâches, c’est aussi plus de stress pour les employés et un report de charges sur le client, pointe du doigt Michel Piuz, propriétaire du garage d’Hermance, en amont sur la rue. «C’est une honte, avec la diminution des facteurs et la fermeture de l’office, j’ai dû prendre une case postale dans le village – ce qui signifie me déplacer moi – pour recevoir le courrier en matinée comme avant. Et il faut même aller chercher les paquets à Anières, alors que les prix, eux, n’ont pas diminué pour autant!»

Lettres et pizzas

La Poste met en avant des horaires élargis. A Hermance, par exemple, l’épicerie est fermée à midi. A Confignon, la pizzeria-boulangerie qui accueille l’agence postale reste ouverte. «Les employés du restaurant essayent de faire leur boulot, mais avec les pizzas en même temps…», remarque, André Vuillermet, retraité, assis sur la terrasse avec sa compagne. Il dit regretter la privatisation de la Poste. «Quand je souhaite un service postal, désormais, je vais à Bernex.»

La gérante du lieu, elle, ne souhaite pas s’exprimer. A une autre table, Bernadette Martin, habitante de Lully, comprend que la demande diminue, puisque désormais beaucoup de personnes font leurs paiements sur internet. «Mais la plupart des personnes âgées n’utilisent pas l’ordinateur.» Sans parler des conséquences en terme de mobilité. «Je me rends à Perly en voiture, mais il paraît que cet office est également voué à disparaître.»

A un kilomètre de là, dans le récent quartier qui jouxte les bains de Cressy, une autre agence est logée dans un mini supermarché, où chaque centimètre carré est utilisé. Jean-Baptiste Després, employé du «Proxi», nous confie que des avocats viennent parfois depuis le centre-ville pour un envoi tardif, le lieu étant ouvert jusqu’à 21h. Pourtant, les envois partent à 17h45, comme dans un office traditionnel.

Beaucoup de travail

A ses yeux, assurer le service postal représente «beaucoup plus de travail», et la cohabitation avec les autres clients est parfois «difficile, car les prestations postales prennent plus de temps». En bref, pas toujours facile de conjuguer ces dernières avec le client lambda venu chercher des cigarettes.

Une version que confirme son employeur, Adbel Raman, au téléphone. «Il y a plein de petites choses le matin lorsqu’on nous apporte colis et recommandés et ce n’est pas très avantageux financièrement, car la Poste paye en fonction des opérations réalisées. Pas le service après-vente.» D’ailleurs, dans cette zone faite de petits immeubles et de villas, deux commerces qui avaient installé une agence y ont renoncé. «Si nous arrêtons, il n’y aura plus de poste dans le quartier…»

Mobilisation dans les communes

Depuis l’annonce par La Poste des grandes lignes de sa restructuration nationale, des communes se mobilisent contre la disparition de leur office. Rien qu’à Genève, 16 des 53 offices de poste sont menacés (lire notre édition du 22 juin), certains devraient être remplacés par des «agences postales».

A Anières, l’association Anières un vrai village a lancé au printemps une pétition «pour le maintien d’un service postal intégral». Elle a recueilli 2251 signatures, dont un tiers provenant des résidents, le reste d’utilisateurs des environs, dont des frontaliers. Déposée le 10 avril déjà au conseil municipal, celui-ci a depuis voté une motion à l’unanimité reprenant les revendications du texte.

«Les gens sont révoltés, ils ont signé très spontanément», commentent Bernadette Grelly et Ghislaine Jacquier, respectivement présidente et vice-présidente de l’association. «Nous maintenons la pression en informant la population. Le maire était plutôt favorable à une agence postale, maintenant il doit défendre cette motion dans les négociations avec La Poste!»

Lien social

A Meinier, la pétition, en cours de récolte de signatures, est partie de l’Exécutif. Le texte dénonce le refus de La Poste de négocier, par exemple sur l’installation d’un bancomat, qui aurait pu améliorer la rentabilité de l’office. Il met en avant le rôle de lien social d’un bureau de poste dans un village et la problématique de la mobilité des aînés. Pour le maire Alain Corthay, il s’agit désormais de faire une large campagne avec les communes voisines – dont les offices ont déjà été presque tous fermés (Corsier, Collonge, Choulex, etc.) – afin «d’obliger La Poste à prendre position devant la population, à assumer ses choix.»

Par ailleurs, le maire souhaiterait que le Conseil d’Etat s’investisse davantage dans le débat. Il songe notamment au transfert de charges que peuvent représenter les agences postales sur les municipalités. Ainsi, à Jussy: après avoir intégré une agence à la mairie, l’administration a engagé une personne supplémentaire pour la gérer.

Un moratoire

De l’autre côté du canton, à Avully, le conseil municipal a aussi voté une résolution à l’unanimité pour le maintien de l’office du village. Des tractations sont en cours avec La Poste. Même Vernier est touchée: là aussi une pétition est en cours pour le maintien du bureau de Châtelaine.

Pour Eric Schwapp, secrétaire genevois de Syndicom, les recours des communes auprès de Postcom [autorité de régulation indépendante du marché postal ndlr] «permettraient d’obtenir un moratoire au parlement, c’est-à-dire la suspension de toutes les fermetures».

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