CFF, Un succès à quel prix?

Les CFF ont annoncé un bénéfice de 267 millions de francs. Loin des réjouissances, des travailleur·euses témoignent des conséquences de la pénurie du personnel et de la pénibilité au quotidien. Le travail sur appel, en urgence, est de plus en plus fréquent. Lorsqu’un rail se casse, la réparation doit être immédiate pour que le trafic ferroviaire reprenne au plus vite.

Les sourires étaient de mise lors de l’annonce des résultats annuels des CFF le 11 mars dernier. L’affluence a atteint les records de 2019 et les bénéfices se sont élevés à 267 millions de francs. Du côté des employé·es, les constats ne sont toutefois pas toujours roses. Trois travailleur·euses, engagés au Syndicat du personnel des transports (SEV), ont accepté de témoigner pour Le Courrier.

«Les CFF ont gagné des millions mais à l’aide de quels sacrifices? Combien de personnes sont mal foutues à cause du travail de nuit, combien de contrôleurs font face à des violences?» interroge Olivier Fortis, monteur de voies. Président de la section montage de l’Arc jurassien au SEV, ce travailleur de 58 ans, également formateur d’apprenti·es, a plus de quarante ans de métier. Il intervient sur les chantiers d’entretien qui assurent la fiabilité et la sécurité du trafic ferroviaire. Rien qu’en 2023, plus de 20’000 travaux de ce type ont été réalisés.

Impact sur l’organisme

L’entretien, pose ou démontage des rails et des traverses, se fait majoritairement la nuit et le week-end. «Depuis une dizaine d’années, les horaires de nuit ont plus que doublé. Cela correspond maintenant à la moitié de notre temps de travail. Plus on devient vieux, moins c’est facile», constate Olivier Fortis.

Comme syndicaliste, il se bat depuis plusieurs années contre les horaires alternés qui s’enchaînent. «Dans la même semaine, on peut travailler deux fois avec des horaires de journée et deux fois avec des horaires de nuit, de 22h à 6h. L’organisme ne s’habitue pas», poursuit-il. Jusqu’ici, les monteur·euses n’ont pas obtenu d’horaires en bloc. Et la pénurie du personnel est flagrante.

«Les chefs ont pris conscience qu’il fallait recruter. Encore faut-il être attractif» Olivier Fortis

Le travail sur appel, en urgence, est de plus en plus fréquent. Lorsqu’un rail se casse, la réparation doit être immédiate pour que le trafic ferroviaire reprenne au plus vite. Un service de piquet est chargé de faire les premiers constats, mais il faut ensuite mobiliser des travailleur·euses en congé pour effectuer les travaux.

«Trouver du monde devient de plus en plus difficile, surtout le week-end. Les jeunes ont tendance à éteindre leur portable pour éviter d’être sollicités», sourit Olivier Fortis. Le syndicaliste comprend leur besoin de se préserver. Il comprend aussi ceux qui jettent l’éponge très vite pour rejoindre des entreprises privées. «Ils ont en marre de ne plus avoir leurs week-ends. Si les horaires étaient plus respectueux, ils resteraient», relève-t-il. Certain·es finissent par revenir, attirés par la stabilité de l’emploi et un temps de travail moyen de 8h12.

Trains supprimés

Olivier Fortis a vu venir de plus en plus d’entreprises, qui assurent les travaux d’entretien. «C’est une sous-traitance en douceur. Il arrive parfois que les CFF nous louent à une société privée, avec nos véhicules, pour des travaux sur les voies», relate-t-il. Le phénomène est amené à s’accentuer, selon lui. «Dans l’Arc jurassien, il y aura 20 départs à la retraite de monteurs de voie sur 80 employés d’ici à 2030. Les chefs ont pris conscience qu’il fallait recruter. Encore faut-il être attractif», conclut-il.

Mécanicienne de locomotive, Hanny Weissmuller a dû travailler elle aussi dans un contexte de grave pénurie de personnel. Il y a trois ans, des trains étaient supprimés sur l’Arc lémanique par manque de conducteur·rices de train. La mécanicienne a accumulé 290 heures supplémentaires en quelques années. Depuis, du personnel a été formé et la situation est moins critique.

«Petit à petit, nous arrivons à diminuer le cumul des heures supplémentaires. Par contre, nos tours de services sont toujours trop longs», affirme la mécanicienne, également présidente du personnel de locomotive au SEV. A cause des sous-effectifs, ils ont été prolongés pour atteindre 9h à 9h30. La syndicaliste lutte pour réduire ces «tours extrêmes», surtout quand ils demandent d’être alertes de 3h du matin à 13h. «Cela devient dur pour le corps», dit-elle.

Pauses découpées

Les pauses parfois découpées en trois interruptions de vingt à trente minutes sur la journée de travail au lieu d’un bloc ne sont pas non plus bien accueillies. «Le temps de sortir du dépôt, d’aller aux toilettes, il nous reste parfois à peine dix minutes pour manger», relève-t-elle. La mécanicienne travaille six jours d’affilée, avec des horaires changeants et trois week-ends sur quatre.

«On ne veut pas qu’un train soit supprimé à cause de nous. Par loyauté avec les voyageurs» Hanny Weissmuller

«Cela a forcément un impact sur la vie familiale. Selon mes horaires, je ne vois pas mes enfants», poursuit-elle. Et lorsque les plannings sont modifiés à la dernière minute, il n’est pas facile de refuser. «On ne veut pas qu’un train soit supprimé à cause de nous. Par loyauté envers les voyageurs.» La cadence au quart d’heure sur le Léman Express entre Coppet et Annemasse a augmenté la pression. Et la volonté du canton de Genève de faire circuler les trains 24 heures sur 24 inquiète la conductrice. Pour assurer ces développements, il faudra davantage de personnel.

Chef assistant clientèle – nouveau nom désignant les contrôleur·euses – Jordi d’Alessandro, aux CFF depuis huit ans, juge que les conditions de travail y sont meilleures que dans d’autres entreprises de transports publics. Reste que le manque de personnel le préoccupe. «Des départs à la retraite ne sont pas remplacés et les moyens mis pour former et engager des travailleurs ne sont pas suffisants», constate le vice-président du personnel des trains au SEV. Il observe que les tâches deviennent de plus en plus flexibles. Avec l’augmentation des client·es et le manque de personnel, de moins en moins de temps est consacré aux contrôles. Dans un contexte de recrudescence des agressions de la part de la clientèle, il estime que la formation sur la désescalade des conflits devrait être renforcée.

Pression des examens

Les travailleur·euses passent des examens périodiques tous les cinq ans, imposés par l’Office fédéral des transports. Les trois personnes qui témoignent en parlent comme d’une importante source de stress, qui participe au découragement des jeunes. «Après trois ou quatre ans, ils se demandent s’ils vont rester et certains partent. Parce que ces examens impliquent de réviser sur son temps libre», relève Jordi d’Alessandro. Le temps alloué par les CFF pour se préparer est insuffisant, selon les syndicalistes.

En cas de double échec, un entretien psychologique est exigé. Monteur de voies, Olivier Fortis est passé par là. «Ces examens sont de plus en plus pointus. Il faut bosser chaque moment de congé pour y arriver. Une fois la cinquantaine passée, on y va avec une boule à l’estomac», témoigne-t-il. Hanny Weissmuller renchérit: «Entre ces examens et les horaires extrêmes, seuls ceux qui font ce métier par passion restent. Les autres s’en vont ou trouvent une place dans les bureaux.» SDT

Contre la pénurie, hausser les salaires
mardi 19 mars 2024 Sophie Dupont

Pour le Syndicat du personnel de transports (SEV), la lutte contre les sous-effectifs passe par une revalorisation salariale. «C’est la seule manière de rendre attractif le travail de nuit et de week-end», affirme Patrick Kummer, vice-président du syndicat. Les salaires des monteur·euses de voies commencent à 51’636 frs, celui des mécaniciens et mécaniciennes de locomotive à 72’555 frs.

Une revalorisation est-elle réaliste, alors que les CFF ont annoncé des économies de 6 milliards d’ici à 2030? «Totalement. Les CFF sont sortis des chiffres rouges grâce à une affluence record. Et près d’un cinquième du personnel partira à la retraite d’ici à 2030. Pour les remplacer, il faut des salaires plus attractifs», insiste Patrick Kummer.

La CCT est valable jusqu’en 2025 et les négociations pour sa reconduction sont imminentes. Le syndicat n’a pas obtenu des CFF de chiffres sur l’ampleur de la pénurie du personnel. Il demande également une internalisation des travailleur·euses temporaires. La sous-traitance, notamment dans le secteur des travaux, le préoccupe également. «C’est un désastre. Ces travailleurs non soumis à la CCT des CFF gagnent certes mieux mais ont des tours de service plus long. Il s’agit en outre d’argent public qui vient nourrir les marges d’entreprises privées», dénonce Patrick Kummer.

Les CFF rappellent pour leur part qu’une augmentation de salaire de 2% a été accordée en 2024, ainsi qu’une prime unique à titre de «compensation partielle» de l’inflation.

Actuellement, environ 1600 postes sont à pourvoir, communique l’ex-régie fédérale. «Pour répondre à la demande d’une plus grande flexibilité, presque tous les postes sont mis au concours à des taux d’occupation à partir de 60%», précise Jean-Philippe Schmidt, porte-parole. Le recours aux entreprises de location de services a lieu dans les métiers de la construction de voies ferrées, le montage de lignes de contact, la sécurité, la conduite de certaines locomotives et le nettoyage.

«Pour certains profils professionnels, il n’est pas possible pour les CFF de renoncer à la location de services. C’est pour des missions de travail à court terme que les CFF dépendent du personnel des agences de recrutement», explique le porte-parole. Environ 350 travailleur·euses de ces entreprises sous-traitantes sont internalisé·es chaque année. Le nombre d’employé·es temporaires s’élève quant à lui à 2800 personnes. Pour les examens périodiques, les CFF ainsi que le syndicat organisent des cours de préparation.

Le Courrier, Sophie Dupont

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