Crime contre la solidarité

Des écoles fermées, des arrêts de bus désaffectés, des aides à la garde d’enfants amputées, des hôpitaux exsangues: ce scénario ne se déroule pas en Grèce ou en Espagne, mais en Suisse. Plus précisément dans des cantons ayant soldé leurs impôts ces dernières années, pour le plus grand profit des entreprises multinationales, sociétés boîtes aux lettres et autres fortunes privées.
Saint-Gall, qui a offert des cadeaux fiscaux pour plus d’un demi-milliard de francs par année, cherche à couper 100 millions dans ses dépenses publiques, rapporte le Tages-Anzeiger. La Ville de Lucerne a déjà taillé 45 millions. Si ses habitants refusent dimanche une hausse d’impôts, ils seront bons pour une nouvelle cure d’austérité. Il faut dire que, dans ce canton de Suisse centrale, une personne physique paie en moyenne 25% de moins qu’il y a dix ans, et une entreprise 68%!
En baissant leurs impôts, ces cantons juraient, la main sur le porte-monnaie, que taxer moins rapporte plus, grâce à l’afflux de bons contribuables. Car c’est bien sûr en laissant libre cours aux intérêts du plus petit nombre que l’on sert au mieux ceux de la collectivité.
On sait depuis longtemps ce que vaut ce miracle néolibéral. La transsubstantiation n’a rien de magique. D’une part, le pompage de richesses s’effectue forcément au détriment d’autrui. Le comportement prédateur des petits cantons de Suisse centrale en matière fiscale pèse sur les régions urbaines, qui supportent le gros des coûts sociaux et d’infrastructures. Ces dernières, happées dans le cercle vicieux de la sous-enchère, en viennent alors à couper dans les prestations sociales. Quant aux masses travailleuses, elles ne bénéficient pas réellement de baisses d’impôts qui s’avèrent pour elles risibles au regard de la flambée des loyers et de l’assurance-maladie. La concurrence fiscale, dont on veut faire une vertu fédéraliste, n’est qu’un crime contre la solidarité.
D’autre part, à moyen terme, les cantons optant pour des allégements massifs finissent toujours par le payer. Il suffit d’un ralentissement de la conjoncture économique pour que les comptes publics plongent dans les chiffres rouges. Et pour que les illusionnistes néolibéraux pointent du doigt le coupable: l’Etat social ventripotent. Vaud et Genève en ont fait l’amère expérience dès les années 1990. Du moins les usagers des services publics – écoles, hôpitaux et EMS en première ligne. Car l’austérité n’entre pas dans le vocabulaire des plus riches. Le tarif des garderies et la distance jusqu’au prochain arrêt de bus ne doivent pas faire partie de leurs soucis existentiels.
Ces programmes d’économies sont probablement appelés à se multiplier. Le nouveau système de financement hospitalier, en grevant la facture des cantons au profit des cliniques et des assureurs privés, commence à faire des dégâts tous azimuts, de Saint-Gall à Neuchâtel. Surtout, la réforme de l’imposition des entreprises s’annonce très mal. Sous couvert d’abolir les privilèges fiscaux des sociétés holdings pour satisfaire aux exigences de l’Union européenne, Neuchâtel et Genève ont déjà annoncé de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises. Tout ceci au nom de la compétitivité internationale de la Suisse. On connaît la chanson.

Michaël Rodriguez, Le Courrier

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