L’accès à l’eau tièdement défendu

Le Forum mondial de l’eau se tient actuellement à Marseille. La déclaration ministérielle adoptée mardi est vivement critiquée par les ONG.

Réunis à Marseille, les représentants de cent trente pays, dont quatre-vingt-quatre ministres, se sont engagés mardi à «accélérer la mise en œuvre du droit universel de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement». La déclaration a été adoptée dans le cadre du Forum mondial de l’eau (FME) qui se tient depuis lundi et jusqu’à demain dans la cité phocéenne. Toutefois, le texte ainsi que la démarche ont été vivement critiqués par de nombreuses ONG présentes sur place. Un forum alternatif y est même organisé simultanément.
Pourquoi tant de remous? La déclaration ministérielle fait pourtant écho à la reconnaissance par l’ONU en juillet 2010 de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement comme étant un droit fondamental. En premier lieu, le texte, bien que voté à l’unanimité, a soulevé des critiques au sein même de ces signataires, à l’image de l’Equateur et de la Bolivie. Cette dernière a vivement dénoncé, par la voix de son ministre de l’Eau et de l’Environnement, Felipe Quispe Quenta, l’absence d’un principe stipulant clairement que l’eau est une ressource non privatisable. Un avis que partage la présidente de l’association Swissaid Genève, Marguerite Contat Hickel. «La privatisation de l’eau n’est pas forcément un mal en soi. Mais lors de chaque forum, le phénomène s’amplifie», déplore-t-elle. Or, dans le texte, pas un seul paragraphe n’est dévolu au sujet. Organisé depuis 1997, le FME en est à sa sixième édition.

Un sommet alternatif
La délégation suisse a de son côté regretté que le texte ne soit pas pourvu d’un caractère contraignant. Interrogé par l’ATS, Martin Dahiden, chef de la Direction du développement et de la coopération (DDC), pointe l’absence de mesures concrètes pour le droit à l’eau potable. Même son de cloche chez Helvetas, première organisation suisse de développement. «Dans la déclaration, on cherche en vain des objectifs concrets et des engagements politiques», regrette Agnès Montangero. Spécialiste en eau à Helvetas et membre du comité du réseau d’ONG End Water Poverty, elle dénonce également le fait que les gouvernements n’ont pas su se mettre d’accord pour réaffirmer de manière plus explicite le droit à l’eau et à l’assainissement. Selon l’OMS et l’Unicef, 2,6 milliards de personnes ne disposaient pas de toilettes à la fin 2010.
En outre, la légitimité même du FME est remise en question. Pour preuve, un autre sommet se tient à Marseille, qui veut se poser en alternative concrète. Ses participants, en majorité des ONG, dénoncent l’objectif du Forum qui consiste, selon eux, à favoriser la marchandisation de l’eau, un bien commun de l’humanité. «C’est vrai qu’on peut se poser la question de la légitimité de cette réglementation internationale parallèle, qui se déroule sans l’ONU et sous la houlette de la Banque mondiale. Elle cautionne un système de contrats public-privé», relève Marguerite Contat Hickel.

Contradictions
Nombreuses sont les ONG qui pointent du doigt la présence de multinationales comme Veolia ou Suez à la table des négociations. «C’est comme si un forum international pour la paix était dirigé et animé par des multinationales de l’armement, qui dicteraient leurs résolutions aux Etats et aux institutions de l’ONU», souligne Maxime Combes, membre d’Attac France. Ces critiques, Felix Gnehm, expert en eau au WWF Suisse et actuellement à Marseille, les comprend. Ces multinationales ont eu, selon lui, une influence au moins indirecte sur l’absence de mention de la privatisation de l’eau dans la résolution. Pourtant, ajoute-t-il, la présence de ces firmes permet aussi aux organisations comme le WWF de travailler avec elles sur les problèmes liés à l’eau et de chercher à les influencer, sans hésiter à dénoncer les pollutions ou les dérives dont elles sont responsables.
La proportion de la population sans accès à l’eau potable a diminué de moitié, depuis 1990. Mais 783 millions de personnes ne disposent toujours pas d’une source d’eau améliorée, telle qu’un puits protégé. La situation est particulièrement critique en Afrique subsaharienne, où 39% de la population n’a pas accès à l’eau potable et plus de 50% doit vivre sans infrastructure sanitaires de base. I

Un rapport calcule la grande soif de la Suisse
En Suisse, un habitant utilise 162 litres d’eau par jour. Mais cette statistique n’inclut que les besoins directs – boissons, cuisine, hygiène, entretien ménager. Quand on s’intéresse à la consommation d’«eau virtuelle», soit celle nécessaire à la production de l’ensemble des biens et services, le citoyen suisse consomme directement et indirectement 4200 litres quotidiennement, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. Par exemple, un kilo de bœuf engloutit 15 400 litres d’eau, un jeans 10 000 litres et un kilo de riz 2500. Ces chiffres ressortent d’un rapport commun à la Direction du développement et de la coopération (DDC) et au WWF. Publié lundi, il mesure pour la première fois l’empreinte hydrique de la Suisse et sa dépendance à l’étranger.
La production et la consommation de denrées agricoles constituent la majeure partie de cette empreinte (81%). La part de l’industrie correspond à 17% et 2% à la consommation des ménages. Les denrées phares de l’empreinte agricole helvétique sont la viande (28%), les céréales (11%), le sucre (10%), le lait (10%), les huiles comestibles (9%), le café et le thé (8%).
L’étude permet de relativiser le concept de château d’eau de l’Europe pour désigner la Suisse, puisque le constat le plus significatif est qu’une part impressionnante de l’empreinte helvétique (82%) provient de l’étranger, dont des régions souffrant de pénurie.
Le rapport cite une étude publiée récemment qui prévoit une hausse des besoins mondiaux en eau de 4500 milliards de m3 à 6900 milliards de m3 d’ici à 2030. La demande excédera alors de 40% les ressources disponibles en eau de qualité. La gestion et la préservation des ressources sont donc vitales. Pourtant, le rapport souligne qu’une empreinte en eau élevée n’est en soi pas dramatique. Ce qui pose problème, c’est quand elle met à mal les régions mises à contribution. Le rapport présente en détail les bassins de la planète affectés par l’empreinte helvétique. Ils produisent des denrées agricoles consommées en Suisse dans des régions et à des périodes de l’année où l’eau fait défaut, provoquant l’assèchement des vallées fluviales et des nappes phréatiques, ainsi que la pollution par les engrais et les pesticides: mer d’Aral, bassin de l’Indus, du Gange, le Tigre et l’Euphrate, ainsi que le bassin du Nil sont les zones les plus préoccupantes.
Il serait toutefois «injuste» que les entreprises et les consommateurs boudent leurs produits, selon le rapport: «Il faut se garder de tirer des conclusions simplistes, comme d’enjoindre à la réduction, voire au boycott, de l’importation de biens en provenance de régions critiques.» Car ces mesures aggraveraient les conditions de vie de ces populations – plus pauvres que là où l’eau coule en abondance –, sans apporter de réponse durable à la problématique de l’eau. Il est en revanche recommandé aux responsables politiques et aux entreprises suisses d’aider ces régions à gérer leurs ressources hydriques durablement.

De Marseille, où se déroule le Forum mondial de l’eau, Felix Gnehm, expert au WWF, témoigne: «Ici, les pays les plus pauvres craignent que le calcul de l’empreinte hydrique devienne un prétexte à de nouvelles barrières commerciales.» Un peu mal à l’aise, il admet toutefois qu’une vision écologiste recommande de consommer et d’acheter «local». De même, une réduction de l’empreinte hydrique s’impose si l’on songe par exemple à la consommation de viande… Le WWF aurait eu des conclusions «moins prudentes» si la DDC n’avait pas été coauteure du rapport, reconnaît M. Gnehm.
Margueritte Contat Hickel, présidente de Swissaid Genève, reconnaît la complexité du problème et des solutions à apporter. Mais elle lit dans ces conclusions tranchées l’ambiguïté de la DDC et donc de la Suisse officielle, attachée à une aide au développement qui n’entrave pas le commerce de ses entreprises. Rachad Armanios

«Etude de l’empreinte hydrique suisse, Illustration de la dépendance de la Suisse à l’égard de l’eau», à télécharger sur http://www.deza.admin.ch/fr/Home/Aktuell/News_Detailansicht?itemID=209619

Le Courrier, 16 mars 2012, Théo Allegrezza

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