La prochaine crise financière est en train d’éclater

Sergio Rossi, professeur à l’Université de Fribourg, où il dirige la chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, fait le point avec nous sur le contexte tendu dans la sphère financière suisse et mondiale. Selon lui, les temps à venir seront durs. Entretien réalisé par Balmain Badel.

Sur votre blog, on trouve un article récent qui s’intitule « La prochaine crise financière est en train d’éclater ». Vous y parlez notamment de la Silicon Valley Bank (SVB), une banque américaine qui a fait faillite début mars, et ce n’est pas la seule banque américaine ayant dû fermer récemment. Comme pour Credit Suisse (CS), l’autorité de surveillance
américaine n’a rien vu venir, n’est-ce pas étrange ?

SERGIO ROSSI Depuis une quarantaine d’années, le nombre de crises et leur ampleur ne font qu’augmenter, et la tendance nous fait comprendre qu’une nouvelle crise financière majeure va éclater tôt ou tard. Elle sera globale (elle touchera le monde entier) et systémique (elle touchera l’ensemble du système économique).
Après la crise globale et systémique éclatée en 2008, les autorités de réglementation ont voulu augmenter le ratio de liquidités que les banques doivent mettre de côté pour certains crédits. Mais ces mesures fonctionnent quand il fait «beau temps», entendez qu’il n’y a pas de panique sur les marchés financiers. En cas de krach comme la SVB, il peut y avoir des effets rapidement négatifs sur tout le secteur bancaire, car les banques sont fortement interconnectées. Sur une seule journée, les banques suisses se prêtent entre elles une somme d’argent qui correspond à environ la moitié du PIB du pays. Quand le PIB suisse est de 800 milliards pour l’année, les banques suisses se prêtent ainsi 400 milliards par jour, avec des prêts à très court terme, pouvant durer le temps d’une journée. Si l’une de ces banques vient à tomber en faillite, par un effet domino, l’ensemble du secteur bancaire risque de partir en éclats rapidement.
Dans un cas comme celui de CS, entre les scandales et les pertes colossales notamment de sa banque d’investissement dans le monde anglo-saxon, on craint pour la santé de la banque, ce qui peut faire précipiter le prix de ses actions vers le bas et impliquer des retraits massifs d’argent par les déposants (ruée bancaire ou bank run). Un problème majeur vient des autorités de surveillance et des règles concernant les banques d’importance systémique. Les produits financiers étant très complexes et les activités d’une banque d’investissement comme celle de CS se déroulant principalement à l’étranger, il est très difficile de les surveiller pour la FINMA et la BNS. La Suisse était forcée d’intervenir, mais il faudra voir qui va en payer les frais.

La Suisse est forcée d’intervenir, car Credit Suisse est une banque d’importance systémique, et que sa chute pourrait affaiblir tout le système bancaire ?
On est fort avec les faibles et faible avec les forts. La Confédération, la FINMA et la BNS auraient dû suivre de près depuis 2008, voire déjà avant, ce que les grandes banques suisses font aussi à l’étranger, en étant en contact avec les autorités monétaires et financières des autres pays. La FINMA ferme les yeux par peur qu’une partie des activités bancaires, des parts de marché internationales, échappe à la Suisse pour aller dans des pays où les autorités sont moins strictes dans la surveillance. La concurrence se fait donc entre banques, mais aussi entre autorités. Les dirigeants de ces banques too big to fail le savent bien désormais : ils peuvent spéculer au maximum sur les marchés financiers internationaux, en espérant dégager des dividendes extravagants pour eux et leurs actionnaires, et si les choses tournent mal, c’est le reste de la population qui en subira les conséquences.
A très court terme, de très nombreux employés de CS ou d’UBS vont être licenciés, avec plus de chômage dans ce secteur d’activité en Suisse, et donc une pression salariale à la baisse dans ce domaine, et certaines autres entreprises qui collaboraient avec CS vont perdre de gros mandats et peut-être disparaître. Les autorités en Suisse interviennent donc, alors que les activités problématiques se déroulent avant tout aux États-Unis.
On met sur le dos des contribuables suisses des risques qui auraient dû être portés par les contribuables de ce pays. Or, la situation va se répéter, car il y a d’autres banques d’importance systémique en Suisse : les banques du groupe Raiffeisen et la Banque cantonale de Zurich. Cette dernière a un modèle d’affaires qui n’est pas tout à fait différent des deux grandes banques qui étaient proches de la faillite. Les pouvoirs publics devraient veiller de plus près à ce qu’une banque cantonale peut faire ou pas. Quand la finance est à ce point globalisée et qu’on peut acheter et vendre à tour de bras des actifs financiers plus ou moins risqués, il devient impossible de gérer tout cela d’un point de vue institutionnel. Il faudrait commencer par faire en sorte que si la banque subit des pertes, les managers et seulement eux laissent tomber leurs bonus et leurs salaires extravagants, sans faire porter la faute sur le contribuable et sur des employés qui n’y sont pour rien.

La BNS, comme la Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne avant elle, vient de monter une nouvelle fois son taux directeur de 1 à 1,5 %. Ces hausses ne viendront-elles pas mettre encore plus en danger ce secteur financier déjà en état d’alerte ?
Ces hausses sont officiellement là pour juguler l’augmentation des prix qui a lieu sur le marché des produits, comme si l’inflation était tributaire d’une trop forte demande sur ce marché, car c’est une manière de calmer l’augmentation de la demande. Or, si les prix augmentent depuis plus d’un an, ce n’est pas dû à cette pression à la hausse du côté de la demande, mais à des problèmes du côté de l’offre à cause de l’augmentation des coûts de production venant des crises de ces dernières années, mais aussi parce que les entreprises augmentent leurs marges bénéficiaires. Il faudrait donc plutôt prévoir un impôt sur les super-profits plutôt que d’augmenter les taux d’intérêt, car les PME qui doivent emprunter pour financer leurs coûts de production devront le faire à des taux plus élevés et répercuteront cette augmentation sur leurs prix de vente.
Le renchérissement va donc augmenter suite à cette politique monétaire restrictive. Elle vise prétendument la stabilité des prix, mais les banques centrales essaient en réalité de soutenir l’activité bancaire : toute banque fait des profits sur l’écart entre les taux d’intérêt qu’elle touche et ceux qu’elle doit payer aux déposants. La BNS permet ainsi aux banques d’augmenter leurs profits à court terme. Mais il y a un risque : si les banques continuent d’augmenter leurs taux d’intérêt pour les PME et les hypothèques, les ménages touchés pourraient ne plus réussir à payer leurs dettes à terme, avec des risques énormes suivant le niveau d’endettement total. D’après la loi fédérale sur la BNS en vigueur depuis mai 2004, celle-ci devrait agir pour assurer la stabilité du système financier suisse plutôt que d’attendre minuit moins une pour sauver une grosse banque. Il faudrait lui rappeler son rôle.

“Les activités d’une banque d’investissement comme celle de CS se déroulant principalement à l’étranger, il est très difficile de les surveiller”, Sergio Rossi

Voix populaire n° 13, avril 2023

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