Firme cherche service public

Des manifestants anti-Tisa devant la Mission de l’UE auprès de l’ONU, où se déroulent des négociations, lundi à Genève.
Le 18e round de négociations sur l’accord international sur les services Tisa se déroule cette semaine à Genève, alors que Wikileaks vient de publier de nouvelles fuites sur ce traité.

La transparence n’est pas souvent le maître mot lorsqu’il s’agit de libéraliser, voire de privatiser, les services publics. Les négociations qui se tiennent cette semaine à Genève et à Paris sur le commerce des services (Tisa en anglais) se déroulent non seulement à huis clos, mais le contenu de ces discussions est lui aussi secret. Seules des fuites ont permis de révéler l’ampleur des conséquences que pourrait avoir ce traité, négocié depuis trois ans par une cinquantaine de pays, dont la Suisse1, sur la souveraineté des États en matière de gestion de services tels que la fourniture d’énergie, les services environnementaux ou les télécommunications. A terme, c’est la privatisation de la santé et de l’éducation qui se préparent, craint le comité Stop Tisa Genève et la faîtière syndicale l’Internationale des services publics (ISP).

Wikileaks avait déjà publié en 2014 et 2015 des extraits de l’accord cadre ainsi que plusieurs de ses annexes. La semaine dernière, l’organisation de Julian Assange a fait de nouvelles révélations, publiées en France par Mediapart et le quotidien Libération. La première concerne les «conditions de localisation» qu’exigent les États pour qu’une entreprise étrangère puisse opérer sur le territoire national. Tisa prévoit de les limiter au maximum. A tel point que pourrait être décidé qu’une firme n’ait plus besoin d’un bureau ou d’une filiale locale pour mener ses affaires dans un pays. Une disposition qui rendrait nettement plus difficile l’application du droit national en matière de protection du travail, de fiscalité ou de protection des données personnelles.

Fini l’ancrage local
La seconde nouveauté porte sur l’annexe sur «les entreprises publiques», publiée pour la première fois. Celle-ci prévoit que ces dernières agissent comme des sociétés privées sur la base de considérations commerciales lors de ventes et d’achats de services et qu’elles appliquent un «traitement non discriminatoire» envers les firmes étrangères. Plus précisément, cela signifie que les entreprises publiques ne pourront plus octroyer de préférences aux fournisseurs locaux lors de l’attribution de marchés publics ou d’achats de biens et de services. «Dans le cadre de Tisa, les pays devraient renoncer à toute législation imposant une implantation locale, liant les contrats à des emplois locaux, à des transferts de technologies, à des efforts de recherche et de développement sur place, à l’utilisation de produits industriels nationaux», analysent Julian Assange et la journaliste Martine Orange dans une tribune de Mediapart.

Cette réglementation irait de pair avec la levée des contraintes légales imposées aux multinationales afin qu’elles puissent se saisir des marchés publics de manière «concurrentielle» et fournir leurs services lors de privatisation ou de libéralisation de secteurs publics. Tisa entérine aussi la règle du «statu quo», à savoir que la régulation d’un service public ou privé existant au moment de la signature de l’accord ne pourrait plus être améliorée par la suite. De même que la «clause du cliquet»: l’ouverture des services publics à la concurrence est irréversible.

Lois sous surveillance
Wikileaks rappelle que, grâce à ce nouveau traité, les grands groupes transnationaux entendent non seulement contester les réglementations existantes en matière de services, mais aussi obtenir un droit de veto sur les futures dispositions légales prises par les États. Le chapitre de Tisa sur la «transparence» précise les procédures qu’ils devront suivre pour adopter de nouvelles lois: publier leurs projets législatifs détaillés dans un délai suffisant, puis prendre en compte les commentaires qui leur sont adressés par d’autres États et par les entreprises étrangères potentiellement «concernées». Si elles s’estiment lésées les firmes pourraient même attaquer les États indélicats devant un tribunal arbitral spécialement créé par le traité.

«Ces règles discutées dans le cadre de Tisa ne sont pas nouvelles», commente Daniel Bertossa, directeur de programme à l’ISP. «Elles ont été rejetées il y a plus de dix ans dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce grâce à une immense mobilisation populaire. Est-ce qu’ils nous prennent pour des idiots? Eh bien, nous sommes de nouveau dans la rue!» faisant allusion aux protestations qui ont lieu cette semaine à Genève et à Paris (lire-ci-dessous).

1. Tous les États européens, les États-Unis, le Canada, le Japon, la Suisse et six États latino-américains, dont la Colombie et le Mexique, participent à ces négociations. L’Uruguay et le Paraguay se sont retirés récemment à la suite du tollé provoqué dans ces pays.

Le Courrier, 31 mai 2016, Christophe Koessler

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