L’accord de libre-échange qui fait frétiller les uns mais apeure les autres

Directeur de l’Union suisse des paysans, Jacques Bourgeois craint les effet d’un accord de libre-échange transatlantique.
Les patrons suisses salivent devant une possible participation à l’accord TTIP entre les États-Unis et l’UE. A l’inverse, les milieux agricoles se méfient.

Lorsqu’on évoque les accords internationaux incontournables pour la Suisse, ce sont les Bilatérales avec Bruxelles qui reviennent le plus souvent sur le devant de la scène. Mais un autre larron s’invite de façon toujours plus pressante à la fête: le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), convention de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), en négociation depuis 2013.

Évidemment, n’étant pas membre du «club» des Vingt-Huit, la Confédération n’y participe pas. Ce qui inquiète au plus haut point la branche du commerce helvétique. «Il est temps d’agir et de rejoindre les pourparlers», a appelé, mardi à Zurich, Commerce Suisse, organisation faîtière d’un secteur fort de 680 000 collaborateurs.

Certes, Berne commence gentiment à avancer ses pions, a salué le lobby. L’été dernier, le ministre de l’Économie Johann Schneider-Ammann a proposé à Washington d’intégrer une clause d’adhésion («docking clause») au projet, qui permettrait à un État tiers de s’y amarrer. «Les États-Unis sont intéressés par cette variante, car ils veulent favoriser l’intégration du Canada et du Mexique», a affirmé Jean-Marc Probst, président de Commerce Suisse.

Contacté, le Secrétariat d’État à ­l’économie (seco) reste cependant plutôt vague. «Plusieurs options sont à l’étude, comme un accord de libre-échange bilatéral avec les États-Unis ou une éventuelle adhésion au TTIP.»

13e salaire menacé

Si la branche du commerce s’inquiète, c’est parce que l’enjeu est de taille. Selon ses propres estimations, en cas d’exclusion du TTIP, les exportations pourraient reculer de 15%, soit 7% de revenu pour chaque employé. «Cela équivaut au 13e mois de salaire», a imagé Kaspar Engeli, directeur. L’institut allemand Ifo a de son côté calculé une baisse du Produit intérieur brut (PIB) suisse avoisinant 3,8%.

D’après le secteur commercial, l’économie helvétique a tout à gagner de ce partenariat nord-atlantique. «Le marché américain s’ouvrirait, sous l’effet de la suppression des taxes douanières. En plus, des normes communes seraient adoptées, ce qui simplifierait la certification des produits», a poursuivi M. Engeli. Du coup, les exportations pourraient bondir de près de 20%.

Viande aux hormones

Mais l’abolition des obstacles aux échanges se ferait bien entendu sur une base mutuelle. Par conséquent, ce concert de louanges ne trouve aucun écho auprès des milieux agricoles suisses.

«Si l’accord est signé, il frapperait durement notre branche. Nous ne boxons pas du tout dans la même catégorie que les paysans américains», rappelle Jacques Bourgeois, conseiller national (plr, FR) et directeur de l’Union suisse des paysans. Les produits helvétiques n’auraient aucune chance d’être concurrentiels, ne serait-ce qu’au niveau du prix.

Des problèmes de qualité se poseraient également. «Nos modes de production diffèrent complètement: chez nous, pas question de viande élevée aux hormones. Avec le TTIP, ces normes risquent de débarquer en Suisse, même si, selon nos informations, l’UE fait le forcing pour conserver les standards européens.»

Pour Commerce Suisse, l’agriculture helvétique doit penser aux nouvelles opportunités offertes par un marché américain libéré des droits de douane. «Le fromage suisse a très bien tiré son épingle du jeu en Europe par exemple», a loué Kaspar Engeli. Réplique de Jacques Bourgeois: «Ce qui est possible pour le fromage ne l’est pas pour les produits à valeur ajoutée moindre.»

Les agriculteurs helvétiques peuvent peut-être trouver des raisons d’espérer dans l’approche du seco. «Dans ces négociations, nous visons le maintien de l’attractivité de la place économique suisse, mais tenons compte dans le même temps des aspects sociaux et environnementaux», souligne l’organe fédéral.

En effet, libre-échange n’est pas forcément synonyme de mise à l’écart de l’agriculture. «Dans cette optique, l’accord conclu avec la Chine doit servir de modèle», plaide Jacques Bourgeois.

En attendant, force est de constater que la signature du partenariat n’est pas forcément pour demain. L’agenda initial visait une conclusion avant la fin 2016, soit avant le changement de président américain, mais il est fort probable que tout soit repoussé. Au final, tout risque de dépendre du successeur de Barack Obama. I

Le Courrier, 09 mars 2016, Philippe Boeglin

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