Touche pas à mon autocar

Le Temps, 21 mars 2010
Xavier Filliez

Le plan fédéral d’économies sur les lignes régionales, qui a plusieurs précédents, rouvre le débat sur la mobilité en zones périphériques. Faut-il absolument sauver des lignes très mal fréquentées et non rentables au nom de la cohésion nationale ? Une fable suisse

Hans-Rudolf Merz n’est pas le roi des sondages mais ses programmes d’économies valent tous les sondages du monde. Celui présenté fin février qui prévoit une coupe dans les subventions au trafic régional a bruyamment illustré l’attachement des Suisses à leurs transports publics.
L’indignation est vive dans les cantons, ficelée dans des paquets de résolutions aux parlements vaudois, bernois, valaisan et on en passe. Après la disparition progressive des offices de poste et des petits magasins, la mesure serait un coup d’assommoir fatal pour les populations décentrées. Sans compter le déficit d’image pour le tourisme, déplorent les députés.

Le gouvernement jurassien s’est offusqué publiquement. La Conférence des transports de Suisse occidentale a pris position vendredi. Pour son président Claude Nicati, «voudrait-on briser l’engouement actuel en faveur des transports publics que l’on ne s’y prendrait pas autrement.»

Après avoir publié sur son site internet la liste des 160 lignes menacées, l’Association transports et environnement a annoncé en fin de semaine dernière le lancement d’une pétition. Elle est escortée par le Syndicat du personnel des transports, Pro Bahn Schweiz et la Communauté d’intérêts pour les transports publics en Suisse.

Rehausser de 32 à 100 usagers par jour la limite qui permet à une ligne régionale de bénéficier des indemnités fédérales – c’est ce que prévoit le plan – ne fait-il pourtant pas qu’exposer au grand jour une indiscutable vérité, à savoir que les transports de périphérie sont insuffisamment fréquentés et qu’il est temps de leur envisager des alternatives?

Dans les régions les plus touchées, les chefs de service sont forcés d’admettre en partie ce constat. «Il y a sans doute des cas, de parallélisme entre lignes par exemple, qui justifieraient que l’on planche sur des solutions plus rationnelles», commente Pascal Bovey en Valais. Son homologue neuchâtelois Pascal Vuilleumier concédait récemment dans L’Express «une offre parfois luxueuse par rapport à la demande». Sentiment largement renforcé par la pudeur dont les cantons font preuve pour transmettre à la presse les chiffres de fréquentation et les taux de couverture des lignes en question.

Avant de mettre définitivement en péril les lignes régionales les moins fréquentées, ce sont les budgets cantonaux que la mesure menace en premier lieu. Persuadé que «les cantons ne pourront pas abandonner ces lignes même si la Confédération renonce à un subventionnement», le directeur des Transports publics du Chablais (TPC), Claude Oreiller, rappelle que la mesure signifierait avant tout un report de charges sur les cantons (1,5 million pour Vaud), voire sur les communes qui ne pourront alors pas faire l’économie d’une réflexion: ne doivent-elles pas se mobiliser si elles souhaitent entretenir la finesse du maillage?

On n’en est pas là. Le processus de consultation du plan d’économieS débutera au mois d’avril, avant le passage du projet définitif devant les Chambres fédérales, peut-être en décembre mais plus vraisemblablement au printemps 2011 vu le caractère controversé de l’affaire. Après les cris du cœur des députés et l’inquiétude des usagers d’avoir vu, en une des journaux régionaux, leur sacro-saint car postal associé aux menaces de réductions budgétaires, le débat ne fait que commencer.

Si la remise en question prononcée par Berne n’est pas perçue comme totalement illégitime, le critère numérique sorti du chapeau d’Hans-Rudolf Merz rencontre néanmoins une farouche opposition. La barre des 100 passagers serait une façon tout à fait arbitraire de définir si une ligne est suffisamment fréquentée ou non. Car l’enjeu d’une réduction de l’offre ne se pose pas de la même manière en banlieue, «où en faisant un kilomètre à pied on peut attraper un autre bus», ou au fond d’une vallée latérale.

Des propositions surgissent. «Pourquoi ne pas remettre en question les lignes les moins fréquentées dans les centres urbains?» s’interroge-t-on en périphérie. L’ordonnance sur les indemnités dans les transports publics fixe à 50 personnes la limite quotidienne autorisant quatre paires de courses dans la journée et à 500 pour dix-huit paires de courses. Pourquoi ne pas relever ce dernier seuil à 800 ou 1000? Cela toucherait davantage de lignes mais moins durement les zones périphériques.

Les usagers, sincères utilisateurs des transports publics ou insurgés de dernière minute, peuvent avoir le sentiment que l’histoire se répète. Et ils ont raison. La guillotine budgétaire menace le trafic régional de façon récurrente en Suisse. Kaspar Villiger avait fait une tentative d’économies en 2003. Hans-Rudolph Merz lui avait emboîté le pas en 2004 déjà. A deux reprises, les pressions avaient été suffisantes pour faire échouer le projet devant les Chambres.

A chaque nouvelle tentative, on rouvre le débat sur la rentabilité des transports publics régionaux qui affichent parfois des taux de couverture abyssaux: «entre 80% et 5 ou 6% à peine» en Valais. L’écart entre les charges et les recettes détermine le montant de l’indemnité publique, dont la part fédérale est de 50% en moyenne mais très variable d’un canton à l’autre, pour une enveloppe totale de 800 millions de francs.

Le plan d’austérité permettrait d’économiser 15 millions par an durant quatre ans (2011-2015). Le jeu en vaut-il la chandelle?
La liste complète des lignes concernées est disponible sur le site de l’Association transports et environnement (ATE):
www.ate.ch

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