La Suisse vit aux dépens du monde

La Suisse occupe une place centrale dans le négoce des matières premières, parmi lesquelles certaines céréales dont les prix ont connu un envol tel qu’il a plongé 150 millions de personnes dans la faim depuis 2019. Près de la moitié du délai imparti à la réalisation des 17 Objectifs du développement durable (ODD) des Nations unies s’est écoulé, et la Suisse ne prend pas le chemin de leur réalisation. C’est le constat amer que pose la Plateforme Agenda 2030, une coalition d’une cinquantaine d’organisations de la société civile (1), au moment même où notre gouvernement rend des comptes à New York.

Selon elle, les actions prévues par le Conseil fédéral en termes de lutte contre la pauvreté, de réduction des inégalités et de préservation de l’environnement ne représentent que des «adaptations cosmétiques». Aucun virage à l’horizon alors que la Suisse continue à «vivre aux dépens du monde», comme le rappelle à raison le rapport des ONG. La faiblesse des mesures prises concernant l’impact de nos choix à l’international s’avère alarmante. D’autant que la Confédération helvétique aurait une empreinte particulièrement nocive. Elle occupe la cinquième plus mauvaise place du classement des pays qui en affectent négativement d’autres (2).

Non seulement la patrie d’Heidi pèse sur le reste du monde en important la plupart de ses biens de consommation sans se soucier de leurs conditions de production, mais elle abrite et chouchoute une plateforme commerciale et financière gigantesque qui contribue fortement à la destruction globale.

Bien connu est le rôle de nos banques et autres fonds de placements dans le financement de l’extraction des hydrocarbures, dont le charbon, partout dans le monde. Un peu moins est la place centrale de l’Helvétie dans le négoce des matières premières, parmi lesquelles certaines céréales dont les prix ont connu un envol tel qu’il a plongé 150 millions de personnes dans la faim depuis 2019.

Très remarquée également l’évasion fiscale en Suisse des dictateurs et hommes d’affaires kleptocrates des pays pauvres, qui laissent leurs populations sans accès à l’eau, à la santé et à l’éducation. Un peu moins célèbre celle minutieusement pratiquée par les multinationales, qui exfiltrent chaque année sous nos cieux peu regardants environ 100 milliards de dollars de profits réalisés à l’étranger. La liste pourrait bien entendu s’allonger ici…

Plusieurs solutions se trouvent pourtant à portée de main: imposer de la transparence et des règles strictes aux marchés financiers, introduire des normes de durabilité dans les accords commerciaux, adopter des obligations de vigilance en matière de droits humains pour les entreprises suisses, etc. Mais face à l’importance des intérêts en jeu, parions qu’il faudra plus qu’un énième rapport appelant à la raison. Car comme celle du loup de La Fontaine, la raison du plus fort est toujours jugée la meilleure. A cette aune, l’échéance de 2030 parait bien trop proche.

(1) Lire le rapport détaillé présenté au au Forum politique de haut niveau de l’ONU https://www.plattformagenda2030.ch/wp-content/uploads/2022/06/2022_continuer-a-vivre-aux-depens-du-monde_PA2030_complet.pdf
(2) D’après l’index Spillover du Sustainable Development Solutions Network, qui travaille pour l’ONU.

Le Courrier, 11 juillet 2022, Christophe Koessler

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