Nestlé pourrait continuer de prélever de l’eau

Un collectif dénonce l’usage d’une nappe souterraine dans les Vosges, en France, dans laquelle Nestlé prélève en effet le précieux liquide pour la marque Vittel. En 2018, Nestlé a embouteillé plus d’un million de m3 de Vittel.

Les autorités françaises devraient donner gain de cause en 2020 à Nestlé pour poursuivre l’exploitation d’une nappe souterraine dans les Vosges, menacée d’assèchement. Des associations contestaient cette priorité d’usage au motif que cette même ressource alimentait la population locale en eau potable. Pour autant, les habitants vont être priés de s’approvisionner ailleurs et plus cher.

Derrière la marque Vittel se cachent deux sources indépendantes. «Bonne Source», légèrement minéralisée, n’est vendue qu’en Suisse (14,5%), en Allemagne (81%) et dans quelques pays de l’Est (4,5%). Avec un apport en minéraux deux fois supérieur, «Grande Source» est bue dans le reste du monde. Outre une légère différence de goût, cette eau tout à fait propre à la consommation dépasse le seuil maximum de minéralisation pour être injectée dans un réseau d’eau potable en France.

La «Bonne Source» a plusieurs usages. Nestlé Waters, filiale du géant alimentaire veveysan, en prélève environ 28%. Une coopérative s’adjuge 17% pour la production et l’affinage de fromages, tandis que le solde est réservé aux Vittellois et de manière marginale à l’agriculture et au tourisme.

Une surexploitation légale

La «Bonne Source» connaît un déficit, identifié dès les années 1970, à hauteur de 1,1 million de mètres cubes par an, selon le service géologique national français. A ce rythme, elle ne devrait plus être exploitable au-delà de 2050, d’après différentes projections.

Bernard Schmitt, Vittellois du collectif Eau 88, dénonce une surexploitation «légale». De fait, Nestlé Waters a toujours disposé d’une autorisation de prélèvement en règle, d’un million de mètres cubes par an depuis 2005. C’est justement le volume estimé du déficit annuel de «Bonne Source».

Le point de vue de Bernard Schmitt est partagé par une instance consultative, le conseil économique social et environnemental régional du Grand Est, qui alertait dans un avis publié en avril 2017: «Ne faire que constater pendant près de 50 ans que les prélèvements sont supérieurs à la recharge est irresponsable de la part des acteurs politiques comme économiques».

Commission mise sur pied

Une «commission locale de l’eau», élue démocratiquement, a été mise sur pied par les autorités françaises en 2010 pour identifier une solution pérenne à l’assèchement de la «Bonne Source». A une écrasante majorité, l’instance a recommandé en février dernier que l’eau destinée aux habitants soit acheminée d’ailleurs, au moyen de canalisations sur une distance de plus de 30 km.

L’investissement résultant est estimé entre 7 et 15 millions d’euros et les coûts de maintenance, d’environ 600′000 euros par an.

L’eau, «patrimoine commun de la nation»

L’approbation des services de l’Etat s’agissant de ce schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) est attendue en 2020. Le collectif Eau 88, bien que non représentatif, s’insurge de la préférence d’usage accordée à Nestlé, qui selon M. Schmitt, contrevient à la Loi française sur l’eau de 1992. L’industriel suisse indique pour sa part qu’il s’est engagé à participer au financement des surcoûts de la solution préconisée.

«Nous nous sommes clairement engagés à réduire nos prélèvements», a indiqué à AWP Sophie Dubois, directrice générale de Nestlé Waters France. En 2018, le minéralier a puisé 750′000 m3 d’eau de «Bonne Source» et prévoit d’en prélever 100′000 m3 de moins d’ici 2020. Mme Dubois évoque également «d’autres initiatives concrètes qu’il faut encore valider auprès des consommateurs», sans plus de détail.

En 2018, l’industriel a embouteillé 460′000 m3 de Vittel «Bonne Source» et 650′000 m3 de «Grande Source». Un transfert des prélèvements de la première à la deuxième ne semble pas avoir été envisagé. «Il n’y a pas de différence de rentabilité entre les deux sources», selon Sophie Dubois, ajoutant que Nestlé a hérité de cette situation.

Par ailleurs, «aucune étude officielle n’a jamais été publiée validant que la ‘Grande Source’ dispose d’une capacité de prélèvement additionnelle», a prévenu François Negro, responsable de la gestion durable des ressources en eaux en Europe chez Nestlé Waters. Le volume maximal prélevable est connu mais l’information n’est pas publique.

Enquête

Le collectif Eau 88 garde encore espoir que les habitants conservent leur priorité d’usage de l’eau de «Bonne Source». Leurs actions médiatiques en France et outre-Rhin n’ont pas été «neutres», a commenté Mme Dubois. Le collectif s’avance désormais sur le terrain judiciaire.

Le parquet de Nancy a confirmé à AWP que la conclusion d’une enquête concernant «d’éventuelles prises illégales d’intérêts lors des modalités d’élaboration du SAGE» vient de lui être transmise. «Nous sommes donc en train de l’instruire pour lui donner une orientation.» (ats/nxp)

24 Heures, 20.6.19, photo AFP

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