Poésie, politique et violences policières

Des centaines de personnes se sont rassemblées samedi après-midi pour réclamer une sortie de crise «par le haut». Un embryon de manifestation a été immédiatement réprimé.

A l’appel des syndicats, associations et partis de gauche, des centaines de personnes se sont rassemblées ce samedi après-midi sur la plaine de Plainpalais pour réclamer une sortie de crise solidaire, sociale, écologique et féministe. La simplicité du dispositif et l’intensité des interventions, parfois dramatiques, tranchaient radicalement avec le spectacle des rues Basses bondées où le dernier week-end avant les Fêtes, dimanche compris, a donné lieu à une frénésie consumériste. Avec l’imposant dispositif policier dispersé dans tout le quartier, également.

Pendant plus de deux heures, sur une scène aménagée à cet effet, les témoignages des «oubliés de la crise» se sont égrainés, ponctués d’intermèdes musicaux, poétiques et vivifiants. Un mini marathon politique et culturel orchestré par Greta Gratos, la célèbre «diva cosmique» en maîtresse de cérémonie. «Le personnel de santé est épuisé, mais aussi les nettoyeurs et nettoyeuses, en première ligne et qu’on oublie bien souvent, ou encore les métiers funéraires», avertit au micro Geneviève Preti, employée des HUG.

Des vies sacrifiées

Les vendeuses et vendeurs sont également représenté.e.s par la voix d’Angela*. Sous prétexte du Covid, les horaires des magasins ont été étendus en soirée et le dimanche, rappelle-t-elle. «Vous aimez passer les fins de semaines en famille? Nous aussi.» Employé licencié de l’hôtel Atrium, désormais fermé, sans revenu depuis fin octobre, Paul* souligne les inégales conséquences de la crise: «Le groupe propriétaire se porte bien, tandis que les trente-trois salariés et leurs familles n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.»

«Nous n’avons pas le droit d’être malades, pas le droit au chômage, on sacrifie nos vies, beaucoup d’entre nous n’ont pas de papiers et, aujourd’hui, nous n’avons plus de quoi payer nos loyers et entretenir nos enfants», témoigne Anita*, au nom des employés du secteur domestique. Elle rappelle que la population se prononcera le 7 mars prochain, référendum du MCG et de l’UDC oblige, sur l’octroi d’une aide d’urgence pour les personnes qui, jusqu’ici, sont passées entre les mailles du filet social.

Artistes dans la précarité

Représentant de l’Union suisse des artistes musiciens, Nicolas Curti relève que certains artistes, au vu de la complexité et de l’incompréhension autour de leur statut d’intermittents, n’ont rien reçu, ou presque rien. «En étant musicien, on prend un chemin différent, avec le risque de rencontrer un jour ou l’autre la précarité. Mais pas que quinze ans d’études, des semaines de travail sur chaque projet, ne soient en rien reconnus.» Il conclut en ayant une pensée pour les musiciens retraités «qui nous ont transmis un flambeau qui est en train de s’éteindre lentement».

«Combien de morts encore pour que des mesures sérieuses soient prises par les autorités, cantonales et fédérales?», interroge Davide de Filippo, président de la CGAS. Il dénonce leur «capitulation devant les milieux patronaux et la droite au prix de la santé de la population». «Des milliards de francs d’aide publique ont été débloqués à fonds perdus pour les entreprises, alors que les travailleurs n’ont reçu que des miettes.»

Le secrétaire syndical comptabilise 102 licenciements collectifs concernant 1894 salariés depuis mars à Genève. «Nous aurons bientôt 20’000 chômeurs, mais plus sûrement 10% de la population si les demandeurs d’emploi étaient comptabilisés selon les normes du BIT.» Et d’exiger, une nouvelle fois, l’interdiction des licenciements, le paiement à 100% des salaires en RHT, la suspension des poursuites et des pénalités contre les chômeurs et, plus généralement, la mise sur pied d’un véritable plan de relance pour l’emploi.

Hommages aux morts du Covid

A l’initiative d’Extinction Rebellion, 619 bougies sont allumées en hommage aux victimes genevoises du Covid depuis le début de la pandémie. Pour ajouter à la «mélancolie» ambiante, ce n’est pas L’Internationale qui retentit, pourtant instamment réclamée par un participant, mais un extrait du Requiem de Mozart. On ne laisse pas impunément les clés de l’organisation à Greta Gratos.

La manifestation «officielle» n’est pas encore dissoute que nombre de participants ont plié bagages, remplacés par une population plus jeune. «On n’est pas fatigués», argue-t-elle, ironique. Sur le coup de 16h15, un cortège se forme derrière une banderole annonçant la couleur: «Contre le virus du capital. Dans la rue, pas dans le parlement». «Les magasins sont ouverts et les manifs interdites. On a le droit de consommer, mais pas de défiler», souligne, au micro, une manifestante.

Un autre participant fait le lien avec la répression qui a touché les Critical Mass et le mouvement 4m2. «Les autorités disent que ce n’est pas le moment. Tout au contraire, alors qu’ils donnent le spectacle de leur incapacité à gérer la crise et à donner des réponses en fonction des intérêts dominants. Nous ne sommes pas prêts à laisser se restreindre le droit fondamental de manifester juste pour les arranger.»

Démonstration de force policière

Le cortège se voulait pacifique et festif. Des paroles ont été distribuées, mais les chansons ne seront pas chantées. Les manifestants ont le temps de parcourir quelques dizaines de mètres et de lancer deux fumigènes colorés avant qu’une soixantaine de policiers en tenue anti-émeute arrivent en courant, ou deux par deux sur des motos, encerclant le cortège, sous les yeux ébahis des badauds. «On se croirait chez Macron», lance l’un d’eux.

A quelques exceptions près, les représentants des partis de gauche et des syndicats ont préféré ne pas s’en mêler. Dans le cortège, on dénombre quelques familles avec enfants. Peu importe. Pas de discussion, pas de sommation. La police s’empare brusquement de la banderole de tête, en plein milieu du stand d’un pucier, dont une partie des marchandises sera endommagée. Un policier est touché à la tête par un manifestant qui est immédiatement plaqué à terre, menotté et emmené.

«Le policer a été lâchement frappé de dos et a dû être emmené blessé à l’hôpital. Il déposera plainte pour violence contre fonctionnaire», indique Joanna Matta, porte-parole de la police. Elle assure que des injonctions ont été faites. «Des individus sont venus au contact physique des policiers en tentant de forcer le passage de manière agressive et violente, sans respect des gestes barrière.»

«Il a suffi d’un prétexte»

Les forces de l’ordre encerclent ensuite le skate parc dans une démonstration de force qui aura raison de la manifestation. Dans un communiqué de presse, la Jeunesse socialiste dénonce la violence policière s’ajoutant à la violence que constitue la mauvaise gestion de la crise. «Il a suffi d’un prétexte, un tout petit refus d’obtempérer du groupe de tête pour que les matraques se mettent à tournoyer et frapper», témoigne Danya. Cette «démocrate convaincue» de 50 ans se dit choquée. «Autoriser et encadrer cette marche, quitte à la maintenir sur la plaine, aurait eu plus de sens et engendré moins de frustration, moins de rancune et moins de violence.»

*prénom d’emprunt

Le Courrier, 20 décembre 2020, Christiane Pasteur

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