Toujours plus riches, encore plus pauvres

INÉGALITÉS .
Selon le classement annuel réalisé par Bilan, les 300 plus riches de Suisse ont une pêche d’enfer. Pourtant, la pandémie entraîne une augmentation dramatique de la pauvreté. À quand une taxe Covid sur les capitalistes?
En 2019, les 300 plus riches de Suisse détenaient une fortune estimée à 646 milliards de francs. C’est l’estimation faite par le magazine Bilan dans sa dernière édition – son confrère alémanique Bilanz penchant plutôt pour 707 milliards.


Le ticket d’entrée pour ce sympathique classement se situe à 200 millions de francs.Au sommet de la pyramide, on retrouve le même trio de tête: les familles Hoffmann et Oeri (actionnaires majoritaires de la compagnie pharmaceutique Roche), assises sur un pactole de 29 milliards de francs (27 milliards en 2019). Elles sont suivies par la famille Wertheimer (groupe de luxe Chanel), qui pointe à 25 milliards et les Safra (banque, immobilier, agroalimentaire, bananes Chiquita) à 22 milliards. Ces heureux élus représentent trois secteurs d’activités qui ne connaissent pas la crise: la pharma, le luxe et la finance.

CHRISTOPH, LE VENT EN POUPE.
L’évolution la plus spectaculaire est celle des Blocher (EMS Chemie, Dottikon ES, biscuits Läckerli), en quatrième position avec 15 milliards de francs. Les affaires fami-liales ont été favorisées par le Covid-19. Pour l’anecdote, rappelons que le Conseil fédéral a récemment décidé de verser 1,1 million à M. Blocher au titre de rente de conseiller fédéral, versée rétroactive-ment. De l’argent de poche, à ce niveau.En 2020, six nouveaux milliardaires ont fait leur entrée dans le classement de Bi-lan. On saluera notamment l’arrivée de Philippe Foriel-Destezet (2 à 3 milliards), actionnaire de la boîte intérimaire Adecco et de Securitas SA. Comme quoi la précarité est un marché rentable.L’IRRESPONSABILITÉ, ÇA PAIE. Dans la liste de ces super-riches, on retrouve nombre d’actionnaires de sociétés qui ont fait campagne contre l’initiative « pour des multinationales responsables », rejetée par une majorité des cantons le 29 novembre. On peut citer, entre autres, les familles Schmidheiny (Holcim, béton) et Landolt (Novartis, Fondation Sandoz), Ivan Glasenberg (Glencore), Marco Dunand (Mercuria) ou encore Peter Brabeck-Lemathe (ancien PDG de Nestlé, encore détenteur d’un large paquet d’actions de la boîte). Voilà qui permet de cerner les vraies motivations de leur féroce opposition à un texte pourtant minimaliste: dans le système capitaliste, l’irresponsabilité rapporte gros.Tout va donc pour le mieux en haut du panier helvétique. Et cette belle santé des ultra-riches n’est pas une exception. En octobre dernier, UBS indiquait que les avoirs des 2000 milliardaires que compte notre planète avaient augmenté durant la pandémie, pour culminer à 10 200 milliards de dollars en juillet 2020.

PAUVRETÉ EN SUISSE…
Au bas de la pyramide, en revanche, c’est plutôt le serrage de ceinture généralisé. Le 30 novembre, Caritas tirait la sonnette d’alarme: en Suisse même, «le coronavirus jette de nombreuses personnes dans la pauvreté sans qu’elles puissent y faire quoi que ce soit. Les personnes concernées ont perdu leur revenu d’appoint, n’ont pas de statut de séjour régulier ou sont tombées en dessous du minimum vital parce que leurs revenus ont drastiquement baissé». Précisons que Caritas estimait à 660 000 le nombre de personnes pauvres dans notre pays avant la pandémie.

… ET MISÈRE GLOBALE. À l’échelle mondiale, les perspectives sont effrayantes. «Pour la première fois depuis vingt ans, le taux mondial d’extrême pauvreté devrait augmenter en 2020», soulignait la Banque mondiale au mois d’octobre. En raison de la pandémie, entre 88 et 115 millions de personnes supplémentaires seront condamnées à vivre avec moins de 1,90 dollar par jour – jusqu’à 150 millions d’ici à 2021. De son côté, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU estime que 235 millions de personnes auront besoin d’une aide alimentaire en 2021 – un nombre en hausse de 40%. Face à ce creusement spectaculaire des inégalités sociales, des voix plaident pour une taxation renforcée des grandes fortunes et des profits. On pourrait commencer en Suisse, ce paradis pour les millionnaires.

services PUBLICS, 4 décembre 2020, Guy Zurkinden, rédacteur

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