Nos rentes sont sous haute pression

DEUXIÈME PILIER • Trois ans après que le peuple a refusé de baisser le taux de conversion, et donc les rentes, les caisses de pension doivent bricoler pour respecter leurs engagements.

Une baisse des rentes du deuxième pilier est «incontournable». Le jugement sans nuances émane de l’Association suisse des institutions de révoyance, qui regroupe 1050 caisses de pension réunissant 2,5 millions d’assurés. Diffusé hier, il risque de rallumer les querelles politiques autour de la prévoyance professionnelle.
«Cotiser pour encaisser moins à la retraite? Si c’est ce que promet le deuxième pilier, à un moment donné, le citoyen va sérieusement se demander
s’il veut continuer», réplique déjà Aldo Ferrari. Le syndicaliste d’Unia, membre du conseil de fondation de plusieurs caisses de pension, a lutté avec succès contre la baisse des rentes en mars 2010.

Trois ans après son éclatante victoire en votation populaire (à 72,7%), il n’a pas changé d’avis.Las pour lui, les facteurs qui avaient poussé les experts à demander cette baisse du taux de conversion (qui détermine la largeur des tranches du capital servi au rentier) restent d’actualité. Il y a l’évolution de la pyramide des âges, avec l’allongement régulier de l’espérance de vie. Mais aussi la baisse des rendements sur les marchés financiers, en particulier des obligations qui composent l’essentiel du portefeuille des caisses de pension.

Obligées de s’arranger

Conséquence, les institutions de prévoyance s’arrangent aujourd’hui comme elles peuvent pour faire face à leurs engagements. Une bonne partie
d’entre elles font ainsi passer les actifs à la caisse pour financer en partie les rentes qu’elles doivent verser aux retraités. «C’est un transfert qui n’est pas voulu par le système», résume Bruno Pfister, président de la direction générale de Swiss Life.
Ces subventions croisées sont carrément en train de transformer le deuxième pilier. La prévoyance professionnelle repose en effet sur le principe de l’accumulation de capital – en clair, le salarié cotise pour constituer son propre bas de laine. Le fait que les actifs sont désormais aussi mis à contribution pour payer en partie les rentes des retraités marque un glissement vers un régime de répartition de type AVS. Une évolution susceptible d’ébranler tout l’édifice de la prévoyance vieillesse.
Concrètement, certaines caisses de pension qui comptent beaucoup de rentiers et peu d’actifs parmi leurs assurés pourraient faire faillite si rien ne bouge. Expert chez PwC, Josef Bachmann évoque des chiffres sans appel dans le «SonntagsBlick». Au total, les caisses de pension gèrent une fortune de 735 milliards de francs, dont 415 appartiennent aux actifs et 320 aux rentiers. Pour financer les rentes courantes, les institutions devraient réaliser un rendement de 4,9% sur les 320 milliards. Or, ce dernier n’atteint que 2,4% en moyenne depuis 2000.Il manque donc aujourd’hui 102 milliards aux caisses.

Surobligatoire pénalisé

A ce transfert des actifs vers les rentiers s’ajoute un autre, celui du surobligatoire vers l’obligatoire. La Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) fixe
des règles contraignantes pour les salaires assurés compris entre 24 360 et 83 520 francs. C’est la partie obligatoire.
Au-delà de la limite supérieure, pour la partie dite surobligatoire, les caisses de pension sont libres de faire ce qu’elles veulent. Résultat: comme elles ne peuvent pas baisser les rentes sur la partie obligatoire après le niet populaire, elles le font dans le surobligatoire pour compenser l’insuffisance de leurs revenus.
Pour éviter ces vases communicants, faut-il laisser les coudées franches aux institutions de prévoyance, comme le prône la droite? Cela pénaliserait les assurés qui n’ont qu’une part modeste (voire nulle) d’avoirs surobligatoires, prévient l’actuaire Fabrice Welsch, de la Banque cantonale vaudoise (BCV). «Environ 20% des assurés sont dans cette situation. Il s’agit principalement d’ouvriers qui n’ont guère de moyens. Il serait injuste de réduire leurs prestations sachant qu’ils ont souvent une longévité moindre que les hauts revenus.»

Un cercle vicieux

Pour l’expert de la BCV, la réglementation des assurances a également des effets pervers sur le deuxième pilier. «Elle pousse les assureurs à détenir les obligations dans leurs portefeuilles. Or, celles-ci ne rapportent plus rien actuellement. Logiquement, la société devrait se tourner davantage vers les marchés actions. Mais elle ne le fait pas car elle aurait besoin, pour cela, d’une importante couverture en fonds propres pour respecter les exigences de la Finma, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers. C’est un cercle vicieux!»
L’équation est complexe, donc, mais pas forcément insoluble. Sur le papier, trois pistes sont possibles pour assurer l’avenir du deuxième pilier: relever les cotisations sur les salaires (versées paritairement par l’employé et l’employeur), repousser l’âge de la retraite ou réduire les rentes en abaissant le taux de conversion. «Il n’y a pas de majorité politique, en Suisse, pour l’une ou l’autre option. La solution devrait donc passer par une combinaison», constate Bruno Pfister. Mais l’assureur estime que rien ne presse encore, sachant que 800 milliards de francs ont été accumulés dans le deuxième pilier.

Coincé entre deux visions antagonistes

Coincé entre deux visions antagonistes de la prévoyance vieillesse, le deuxième pilier est-il voué à disparaître? C’est la question provocatrice qu’a soulevée Fabrice Welsch, directeur prévoyance et conseils financiers à la Banque cantonale vaudoise (BCV), lors d’un débat organisé récemment à Lausanne. «Nous sommes très peu à défendre le deuxième pilier», s’est-il inquiété. «La gauche ne jure que par le premier pilier, l’AVS. Et la droite
pousse vers l’individualisation de la prévoyance, sur le modèle du troisième pilier.»
Le syndicaliste Aldo Ferrari ne l’a pas contredit: «Il nous faut convaincre les assurés du deuxième pilier de sa raison d’être. Cela passe par des garanties de rentes, quitte à relever les cotisations paritaires en cours de route pour atteindre l’objectif fixé.» Dans cet esprit, le représentant d’Unia a aussi plaidé pour l’initiative populaire «AVSplus», portée par l’Union syndicale suisse, qui réclame une augmentation des rentes vieillesse de 10%. La récolte de signatures vient de commencer.
«La gauche préfère un système de répartition comme l’AVS parce qu’il permet la confrontation des classes, ceux qui gagnent contre ceux qui reçoivent», a ironisé l’ancien conseiller fédéral radical Pascal Couchepin, rappelant que la droite a davantage de sympathie pour le deuxième pilier, fondé sur l’accumulation de capital. «Mais nous demandons des réformes, en particulier le passage du système de primauté des prestations à la primauté des cotisations.» En clair, la hauteur des rentes doit dépendre du capital réellement accumulé et pas du plan de prévoyance défini lors de l’affiliation à une caisse de pension.
Sur le sujet, droite et gauche paraissent irréconciliables. Pour arbitrer leur duel, les regards sont tournés vers le conseiller fédéral Alain Berset et son projet de réforme globale du système des retraites, annoncé pour cette année. Le socialiste propose de sortir du «saucissonnage» qui a prévalu jusqu’ici pour adopter une vision globale en garantissant le niveau actuel des prestations. La droite met déjà la pression en exigeant de biffer le taux
de conversion de la loi, ce qui empêcherait le peuple de contester de futures baisses de rente. La commission de la sécurité sociale du Conseil national a récemment donné suite à une initiative parlementaire de l’UDC dans ce sens. GM

Le surveillant tire la sonnette d’alarme

La situation financière des caisses de pension s’est globalement améliorée l’an dernier, avec un rendement net moyen de 7,4%. La commission de haute surveillance de la prévoyance professionnelle juge malgré tout indispensable une baisse du taux de conversion des avoirs en rente. Les taux de couverture ont progressé en 2012: 90% des caisses sans garantie de l’État présentaient à fin décembre une capitalisation d’au moins 100%. Mais d’importantes différences subsistent, a souligné le directeur du secrétariat de la commission Manfred Hüsler début mai devant la presse.
Ainsi, 4% des institutions sans garantie étatique sont encore rangées dans le segment supérieur de risques. Et 37% affichent un risque jugé plutôt élevé. La commission pointe du doigt des promesses de prestations excessives, en plus de l’augmentation de la part de rentiers.
Alors que les indicateurs techniques comme le taux d’intérêt minimal sur les avoirs du deuxième pilier ont fortement baissé au cours des dernières années, les rentes de vieillesse LPP continuent d’être fondées sur des facteurs trop élevés, fustige la commission. Pour elle, des adaptations de
loi s’imposent. ATS

Le Courrier, Guillaume Meyer

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