Je me souviens encore d’une époque, au temps sombre du service public, où les bureaux de poste ressemblaient encore vaguement à des bureaux de poste. On y entrait en tenant humblement à la main une lettre ou un colis dans l’espoir fragile de le faire affranchir et expédier vers une destination plus ou moins exotique (comme la Caisse Primaire d’Assurance Maladie).
Aujourd’hui, on entre dans un « espace d’accueil » qui ressemble à un supermarché et où les enveloppes sont présentées sur des rayons comme des fucking tranches de saumon fumé au milieu de tout un « merchandising » qui frise le Royaume de Mickey : des tasses marquées « la poste », des clés USB « la poste » et même des sacoches de facteur « à l’ancienne » avec marquées dessus - vous allez rire - « la poste ».
Le « self-service » y est tellement de rigueur que je suis encore étonné de n’avoir pas à transporter moi-même le courrier que je viens moi-même d’affranchir (et ne croyez pas que les connards de HEC (ou son équivalent) n’y ont pas pensé, c’est juste qu’ils n’ont pas encore trouvé le moyen de nous le faire avaler. Une suggestion amicale de ma part : « l’Europe » - mot magique qui marche à tous les coups).
Au temps sombre du service public, si la lettre mettait plus de deux jours pour arriver à destination, on supputait déjà le décès impromptu du facteur en pleine tournée ou une grève sauvage lancée par un de ces syndicats dont on confondait toujours le nom. Si la lettre mettait plus de trois jours, la rumeur courait sur un probable acte de sabotage. A quatre jours, ça y est, une catastrophe naturelle s’était abattue quelque part en France, en emportant facteur, sacoche, vélo et tournée.
On l’appelait laconiquement « La Poste » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le couple Halliday.
Il arrivait que « La Poste » brise quelque tabou ancestral en lançant des initiatives dont la témérité donnait le tournis, comme l’instauration d’un tarif d’affranchissement « économique », par opposition au « normal ». Un tarif pensé pour ceux qui n’était pas pressés (car il y en avait encore) ou ceux qui s’envoyaient à eux-mêmes des courriers. Et ce qui était jadis considéré comme un service « normal » s’appelle désormais un service « hyper-méga-rapide, genre chrono à la main et et zip c’est parti » et vous est facturé 10 fois plus cher.
Au temps sombre du service public, les murs des bureaux de poste étaient décorés d’affiches et de timbres postes du monde entier qui faisaient rêver les gamins au lieu de les préparer à entrer dans la vie inactive. Et si d’aventure plus de quatre personnes avaient l’outrecuidance de vous précéder dans la file d’attente, on considérait que vous étiez en droit de prendre votre carte à la Ligue Communiste Révolutionnaire.
Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son papa connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au golf avec untel, et ce fut l’enfer.
Désormais, ce sont de grands écrans plats qui sont chargés de vous faire patienter en vous vendant le bonheur de faire la queue. Si par miracle il y a moins de vingt personnes devant vous, c’est que vous êtes retraité ou chômeur ou l’innocente victime d’une caméra cachée.
Au temps sombre du service public, le facteur était une sorte de personnalité locale qui ne se faisait voler la vedette que par le pompier, l’instituteur et, éventuellement, le maire (lorsque ce dernier n’était pas en prison). Mais un des grands mystères du monde moderne que je n’arrive pas à résoudre est celui des « lettres recommandées ».
Je vous explique : jadis, lorsqu’une « lettre recommandée » vous était destinée, le facteur sonnait à votre porte et vous la remettait en échange d’une signature. En cas d’absence, un avis était glissé avec tact dans votre boîte-aux-lettres. Fini tout ça : vous aurez beau être chez vous toute la journée et même la passer à guetter le passage du dit facteur (à quoi ressemble-t-il ? porte-il un signe distinctif ?), vous aurez beau scruter la circulation dans la rue et même l’horizon, beau tendre l’oreille derrière la porte en guettant la moindre agitation dans le couloir, beau vérifier pour la dixième fois que votre sonnette fonctionne parfaitement, ce ne sera qu’à la nuit tombée que vous trouverez un « avis de passage » subrepticement glissé dans votre boîte-aux-lettres.
Suprême affront : cet Arsène Lupin des temps modernes, pour préciser le « motif de non distribution » aura soigneusement coché la case « destinataire absent ». Affront qui sera suivi par une invitation à vous rendre au bureau de poste le plus proche où la lettre-que-nous-n’avons-pu-vous-remettre-pour-cause-que-vous-n’étiez-pas-là vous attendra, goguenarde, à partir du lendemain 14h00- invitation elle-même suivie d’un ricanement silencieux.
Parce que t’as beau investir dans un système électronique de détection, poser des pièges et même élever une batterie d’oies pour donner l’alerte, rien n’y fait. Alors ? Comment font-ils ? Sont-ils équipés de semelles hyper-silencieuses ? Portent-ils des uniformes faits de la même matière que les avions furtifs américains ? Portent-ils une cape d’invisibilité ? Se déplacent-ils à une vitesse proche de celle de la lumière ? Mystère, vous dis-je.
Connards de HEC : rendez-nous la Poste et allez jouer ailleurs
Au temps sombre du service public, il y avait des trains. Des trains qui partaient (c’est bien) et qui arrivaient (encore mieux) à l’heure avec une fiabilité et précision tellement légendaires qu’on faisait dire aux employés de la SNCF que « Avant l’heure, c’est pas l’heure. Après l’heure, c’est plus l’heure ». C’était l’époque où lorsque vous voyiez un train partir en retard, vous saviez que c’était votre montre qui avançait. Et vice-versa . C’était une époque sombre où les TGV glissaient - je me souviens qu’on pouvait écrire dans un TGV lancé à pleine vitesse sans que la calligraphie n’en souffre (mais qui écrit encore dans un train ?). C’était l’époque où les prix des billets étaient compréhensibles, où on avait le droit de rater un train et de prendre le suivant sans être accusé d’appartenir à Al-Qaeda. Une époque où les seuls militaires qu’on croisait dans les gares étaient des bidasses en permission. C’était l’époque où pour tout incident vos étiez en droit de prendre votre carte à Lutte Ouvrière.
On l’appelait laconiquement « la SNCF » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus qu’une chanson de Mireille Mathieu.
Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et sa maman jouait au bridge les mercredi avec l’épouse de quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui jouait au tennis avec untel, et ce fut l’enfer.
Aujourd’hui, il y a toujours des trains. Des trains qui partent (c’est bien) et qui arrivent (encore mieux). Que vous faut-il de plus ? Si vous voyez un train partir en retard, ça veut dire qu’il n’est pas parti en avance. Et toc. Un voyage en TGV secoue tellement qu’on se croirait dans un avion à hélice traversant un orage et même si vous n’écrivez plus que sur un clavier, tâchez quand même de le faire sur un ordinateur portable anti-chocs.
Votre bonheur est censé être garanti car vous ne voyagez plus dans un vulgaire TGV, mais dans un iTGV – le « i » dénote une tentative désespérée de branchitude (qui est l’attitude standard d’un loser lorsqu’il se retrouve malheureusement à un poste quelconque de responsabilité). Bientôt, ils nous vendront de la i-merde et nous diront que c’est moderne.
Acheter un billet n’est plus une formalité mais une épreuve de Fort Boyard. Vous commandez vous-même votre e-billet (ah, cette fois-ci, c’est un « e ») sur Internet et/ou vous l’imprimez vous-même. Le cas échéant, vous compostez vous-même votre billet. Vous pouvez aussi acheter ou échanger votre billet vous-même via une machine automatique. Combien de temps reste-t-il avant qu’ils ne décident que le train sera conduit par nous-mêmes et que le conducteur sera choisi à la courte-paille parmi les passagers ?
Et si par hasard vous décidez - pour une raison qui vous appartient - de participer, genre baroudeur, à l’aventure « objectif-guichet », et que vous réussissez à en trouver un (ouvert, parce que les guichets fermés, ça ne compte pas), la file d’attente interminable qui vous précède vous rappellera le jour de sortie de dernier « Harry Potter ». Comment font-ils pour obtenir de telles files ? Embauchent-ils des stagiaires ou des figurants pour nous décourager ? Lancent-ils la rumeur d’une vente sauvage d’iPhones - tiens, encore un « i » - pour tel jour à telle heure (devant le guichet « départs immédiats » de préférence) ? Si oui, comment savaient-ils que vous alliez vous présenter effectivement devant ce guichet-là, tel jour à telle heure ?
Mais les connards de HEC qui pensent à tout ont même prévu là aussi des écrans plats qui diffusent des spots hilares pour vous expliquer combien c’est cool le train, alors que vous êtes bien placé (128ème dans la file) pour le savoir.
Oui, heureusement que les connards de HEC sont là. Changement d’uniformes, changement de logo. Des dizaines de millions d’euros engloutis pour « rehausser l’image de marque », pour « redynamiser le concept ». Les employés coiffés de casquettes qui les font ressembler à des Robin des bois futuristes sortis d’un film de série B raté ; un logo TGV corniaud ; des « s’miles » qui s’accumulent sur votre carte de fidélité ; et patati et patata, sans oublier la publicité omniprésente dans les gares, sur les quais, partout.
Connards de HEC : rendez-nous la SNCF et allez jouer ailleurs.
Au temps sombre du service public, il y avait des téléphones. Des trucs qu’on décrochait, sur lesquels on composait un numéro, et… voilà. Le téléphone quoi. Un réseau extraordinaire, construit avec notre argent. Evidemment, les plus jeunes diront que j’exagère, que j’embellis, mais il fut un temps où lorsqu’on appelait un service (commercial ou dépannage), on trouvait quelqu’un au bout du fil, une personne en chair et en os. Lorsqu’on avait un problème, le gros Dédé (ou son équivalent) se pointait avec sa boîte à outils, réparait le truc et repartait. Si tu voulais trouver un numéro, il y avait un annuaire. Pas d’annuaire à portée de main ? Les renseignements, pardi.
Ca s’appelait laconiquement « France-Télécom » ou encore « les PTT » et on savait en général pourquoi on y était, ce qu’on y faisait et à quoi ça servait. Les tarifs étaient clairs, accessibles, compréhensibles. C’était pas cher, ça marchait super bien, et le monde entier nous l’enviait encore plus que le Stade de France.
Mais un jour un connard de HEC (ou son équivalent) a eu son diplôme et son chien pissait contre le même poteau que le chien d’un autre qui connaissait quelqu’un dont le fils fréquentait la même école privée que la fille d’untel, et ce fut l’enfer.
Changement de logo qui a coûté des millions (pour « rehausser l’image de marque », pour « redynamiser le concept »), un rachat et un changement de nom qui a coûté des millions. Maintenant c’est « orange » - tu parles d’un nom… pourquoi pas « caca d’oie » ?
Désormais, nous voilà devant des sociétés à foison, prédatrices de nos investissements d’antan, des grands opérateurs, des petits opérateurs, des opérateurs sortis d’on ne sait où qui vous promettent des communications à 0,08 euros la minute vers le pôle sud, des portables « bloqués », débloqués, des forfaits « carrés », « carrés silver » (ça veut dire argent, non ?), des formules « zen », « origami ». Bref, si tu sais choisir un abonnement, tu sais lire le manuel de vol d’une navette spatiale ou bien – autre hypothèse – tu n’as vraiment rien de mieux à foutre de tes journées.
Connards de HEC : rendez-nous France-Télécom et allez jouer ailleurs.
Et pour tous ceux qui se demandent encore ce que signifient les lettres H.E.C. : « H », c’est pour « Hautes », « E » pour « Etudes » et le « C »… eh bien, tout le monde croit que c’est pour « Commerciales »…
Oui, ça y est, maintenant je me souviens pourquoi je voulais vous parler de ça. Mais ce sera pour une autre fois.
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