Femmes sous pression

Selon l’analyse menée par l’Office fédéral de la statistique, l’épuisement et le stress au travail touchent davantage les femmes, et encore plus celles qui sont actives dans la santé et le social.
Les risques pour la santé battent des records dans l’hébergement et la restauration.

Le stress au travail augmente. Et c’est particulièrement vrai pour les femmes, qui sont également plus à risque de burnout. C’est l’un des constats qui ressort de l’analyse menée par l’Office fédéral de la statistique (OFS) à partir des données de l’enquête suisse sur la santé, publiée ce jeudi. «Le stress est clairement associé au risque de burnout et à un moins bon état de santé. C’est donc une évolution qui interpelle», souligne Jean-François Marquis, collaborateur scientifique à l’OFS. Pour la première fois depuis 2012, un nombre plus important de femmes (49,3%) que d’hommes (46%) sont exposées à au moins trois risques psychosociaux, ce qui a un impact sur la santé. Tous secteurs confondus, un peu moins de la moitié des travailleurs et travailleuses sont concerné·es par un cumul de risques.

«Leur santé est moins bonne que celle des personnes qui sont confrontées à un moins grand nombre de risques», relève Jean-François Marquis. La situation de la branche santé et action sociale est particulièrement préoccupante. La restauration et la construction sont également marquées par des conditions alarmantes pour la santé. Tour d’horizon.

1. Santé et social mal en point

Une femme sur quatre travaille dans les secteurs de la santé et du social. Cela les expose à un impact sur leur santé physique et psychique particulièrement important. Selon l’OFS, plus de la moitié des femmes actives dans cette branche sont confrontées à au moins trois risques physiques (56%) ou psychosociaux (55%), ce qui met à mal leur santé. Les hommes aussi, mais ils sont minoritaires dans la branche.
Les femmes actives dans le domaine des soins et de l’action sociale sont plus souvent stressées que la moyenne (31% contre 25%) – une proportion qui a fait un bond depuis 2012. Ces travailleuses déclarent aussi plus fréquemment manquer d’autonomie dans leur travail. Elles sont aussi davantage soumises à des exigences émotionnelles importantes.

Soigner ou garder des enfants sont aussi des activités physiques, rappelle l’OFS. Près de trois femmes sur dix actives dans la santé ou l’action sociale indiquent devoir souvent adopter des positions douloureuses. Un peu moins d’un tiers portent des charges lourdes, et 45% doivent soulever ou déplacer des personnes.

2. Alerte rouge pour la restauration, la construction aussi touchée

Les risques pour la santé battent des records dans l’hébergement et la restauration (4% des personnes actives en Suisse). Les travailleurs·euses de cette branche sont 69% à déclarer au moins trois risques physiques et 67% à déclarer le même cumul pour les risques psychosociaux. «Un tel cumul d’expositions à des conditions de travail pouvant représenter un risque pour la santé n’est atteint dans aucune autre branche d’activité», souligne l’OFS.

Tous secteurs confondus, un peu moins de la moitié des travailleurs et travailleuses sont concerné·es par un cumul de risques

La construction est également particulièrement touchée, avec des risques physiques importants pour quatre hommes sur cinq. Les travailleurs du secteur font aussi face à une forte intensité de travail (62% contre 51% en moyenne) et à des cadences élevées. Deuxièmement, ils déclarent plus fréquemment que la moyenne ne disposer que d’une faible autonomie dans leur travail. De manière générale, l’exposition aux risques physiques a légèrement reculé chez les hommes (47%), depuis 2012. Pour les femmes, cette exposition est restée stable et légèrement inférieure (43%).

Dans le secteur des activités financières et d’assurance, où les risques sont plus faibles, de fortes inégalités entre les genres sont constatées. Le cumul critique de risques psychosociaux touche 60% des femmes de cette branche, contre 38% seulement des hommes. Cela renvoie aux différences de professions exercées dans la branche, les femmes étant employées davantage dans des postes administratifs. Elles sont nombreuses à être confrontées à des demandes psychologiques élevées, à une forte intensité du travail et sont particulièrement stressées.

3. De l’épuisement qui mène au burnout, davantage de harcèlement

Le stress touche 23% des travailleur·euses, contre 18% dix ans plus tôt. Les personnes actives exposées à des exigences émotionnelles – devoir cacher ses sentiments, être en tension avec le public ou avoir peur pendant le travail – sont beaucoup plus à risque que les autres.

Parmi les personnes stressées, plus de la moitié atteignent l’épuisement. Au total, une personne sur cinq se sent de plus en plus souvent vidée. «Cet épuisement émotionnel indique un risque accru de burnout», précise Jean-François Marquis. Là aussi, la différence de genre est plus marquée qu’avant: la part des femmes épuisées émotionnellement dans leur travail et présentant un risque accru de burnout est passée de 20% en 2012 à 25% en 2022, tandis que celle des hommes est restée stable (19%). Les jeunes femmes et celles qui travaillent dans la santé et l’action sociale sont davantage touchées.

Le nombre de femmes qui ont déclaré avoir été victimes de harcèlement sexuel a presque triplé en dix ans, passant de 0,6% à 1,7%. Les femmes de 15 à 29 ans sont davantage touchées (4,1%). Une femme sur cinq déclare faire face dans son travail a au moins une forme de discrimination ou de violence.
Le Courrier, 23 mai 2024 Sophie Dupont, Guy Zurkinden

«Il est urgent d’agir»
Les syndicats font état d’une situation alarmante, pour laquelle une prise de conscience politique est nécessaire. «Il est urgent d’agir. Ce qui nous inquiète en particulier, c’est le nombre élevé de travailleurs et travailleuses qui se sentent épuisés émotionnellement», indique Christine Michel, responsable santé et sécurité au travail, à Unia. Le cumul des risques physiques et psychologiques, dans l’hôtellerie et la restauration comme dans la santé, la préoccupe également. «Dans ces métiers, le personnel porte des charges lourdes ou soulève des personnes, fait des mouvements répétitifs. Et la charge émotionnelle est aussi élevée. Il faut traiter avec des patients ou des clients difficiles, parfois agressifs», souligne-t-elle.

L’intensification du travail, la pression sur les délais et le manque de personnel contribuent à une dégradation des conditions, selon Unia. La numérisation a aussi des effets délétères. «Dans la vente par exemple, avec la venue des caisses automatiques, les caissières doivent accomplir davantage de tâches diversifiées en même temps», poursuit Christique Michel, qui appelle les employeurs à agir pour améliorer leurs conditions de travail. Elle ajoute qu’il est également de leur responsabilité de prévenir le harcèlement.

Secrétaire centrale au Syndicat des services publics (SSP), Michela Bovolenta constate que la dévalorisation des métiers de la santé, de l’accueil de l’enfance et du social est source de souffrance. «A cela s’ajoute le manque d’autonomie, des journées de travail trop longues, le non-respect des dispositions légales en matière de pauses ou de protection de la santé pendant la grossesse», énumère-t-elle. Le manque d’effectifs et les exigences d’économie engendre beaucoup de fatigue parmi le personnel, souligne le SSP.

Michela Bovolenta appelle à améliorer les conditions de travail, les salaires, et à mettre en place des mesures pour concilier le travail et la vie de famille. Sans cela, le personnel s’épuise et quitte prématurément le secteur, ce qui contribue à aggraver la pénurie. «Il est nécessaire de revenir à une vision de service public, où l’être humain prime sur l’économie et où le personnel est respecté et valorisé», défend-elle. Elle estime aussi que le sexisme et les violences de genre sur les lieux de travail sont encore trop souvent tolérés et banalisés.

L’Union syndicale suisse, appelle à combattre le démantèlement de la loi sur le travail. La faîtière syndicale est préoccupée par des offensives de la droite, qui veut étendre le travail du dimanche dans les commerces ou encore introduire le travail de nuit et du dimanche dans les bureaux «sous prétexte de faciliter le télétravail».

Les syndicats soutiennent par contre une initiative parlementaire qui sera débattue à la session d’été. Celle-ci demande une meilleure reconnaissance des maladies liées au stress comme maladies professionnelles. Si elles sont reconnues comme telles, ces maladies relèveraient alors de la loi sur l’assurance-accident. Pour le socialiste Baptiste Hurni, qui avait déposé le texte au Conseil national, les coûts de la santé ne seraient ainsi plus imputés aux travailleur·euses mais supportés «là où ils sont générés». «Les employeurs sont ainsi davantage responsabilisés quant à leur devoir d’assistance et la prévention est renforcée», indique l’élu dans son initiative. Celle-ci est soutenue par les syndicats.
Le Courrier, 23 mai 2024 Sophie Dupont

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