Or bleu: bien commun ou rien

Le PDG de Nestlé a dû avoir les oreilles qui sifflent, samedi après-midi. Le collectif des Vagues de la révolte et ses alliés écologistes ont organisé un Festival de l’eau dans la ville du siège social de la multinationale, à Vevey. Une centaine (180, selon la police) de participant·es, dont la députée France insoumise Mathilde Panot, ont dénoncé l’accaparement privé de l’or bleu, l’assèchement des nappes phréatiques, ainsi que l’utilisation du plastique pour l’embouteillage et les pollutions associées. Visage emblématique maintes fois hué durant la journée, Nestlé a vu ses jardins brièvement envahis par une dizaine de militant·es, sans heurts.

Marchandisation de l’eau

Avant cela, c’est dans une ambiance joyeuse et en musique qu’une procession s’est dirigée en fin de matinée de la place du marché vers l’Alimentarium, musée de l’alimentation créé par Nestlé et situé au bord du lac, en face de la fameuse fourchette qui y est immergée. Un tract distribué à la population dénonçait «le marché de l’eau potable», ses «un million de bouteilles vendues à la minute» et les «tonnes de plastique, de produits chimiques et d’hydrocarbures.» Et cela pour les «bénéfices gigantesques» des multinationales, ont expliqué les Vagues de la révolte aux badauds. «C’est contre Nestlé? Bonne idée, depuis le temps qu’ils nous font suer…» a-t-on pu entendre d’une passante.

Le défilé des manifestant·es – dont plusieurs élus Ensemble à gauche –, pour beaucoup aux déguisements et masques bigarrés, était rythmé par les chants de différentes chorales anarchistes de Romandie et des percussions de la Red de Tamboreras de Suiza. Musicienne au sein de la formation, Charito Wuillemin a expliqué être également présente «en solidarité avec l’Amérique latine car là-bas, privatisation de l’eau rime avec emprisonnement et criminalisation des activistes».

«Nous sommes dans la gueule du loup et avons une immense responsabilité» Les Vagues de la révolte

Installer le Festival de l’eau devant l’Alimentarium de la multinationale Nestlé «permet de rappeler ces réalités face au greenwashing de cette entreprise, comme elle tente avec ce musée», abondait une autre militante écologiste. «L’eau ne se vend pas, elle se défend!» ont scandé plusieurs autres, car avec une Suisse aux multiples sièges de multinationales «nous sommes dans la gueule du loup et avons une immense responsabilité», insiste les Vagues de la révolte.

En écho des luttes en France

Sous une tente installée au bord du lac, différentes organisations telles que Contre-attaque et autonomie, Public Eye, la Grève du climat, ou encore le syndicat paysan Uniterre ont dénoncé les méfaits de la marchandisation de l’eau, tels que l’assèchement des nappes phréatiques et la privation de l’accès à l’eau des populations locales. A titre d’exemple était invité le Collectif Eau 88 de Vittel, en France. Son militant Bernard Schmitt a expliqué au Courrier que chez eux, «la nappe profonde est en déperdition par excès de prélèvements. A l’époque 4500 salariés fabriquaient 400 millions de bouteilles et dorénavant 600 salariés en extraient 1,5 milliard.» Ce printemps, Nestlé Waters annonçait le licenciement de 171 d’entre eux du site des Vosges.

En soutien, la députée de la France Insoumise Mathilde Panot était également présente à Vevey. Elle a elle-même présidé une commission d’enquête parlementaire sur l’accaparement de l’eau «par les intérêts privés et ses conséquences.» Pour elle, l’or bleu «n’est pas seulement menacé par le réchauffement climatique, mais aussi par l’organisation capitaliste: pollution des rivières aux pesticides, mégabassines, etc., nous devons réfléchir à un moratoire en Europe.» Aucune hésitation pour l’élue, à l’heure «où il y aura bientôt davantage de plastique que de poissons dans nos océans à cause d’entreprises qui s’emparent gratuitement de l’eau pour la revendre en bouteilles.»

Invasion surprise de Nestlé

Afin de cogiter collectivement aux différentes stratégies de lutte et défendre leur vision de l’eau comme bien commun, les Vagues de la révolte avaient prévu une assemblée au Festival, que d’autres manifestant·es ont voulu délocaliser dans un lieu plus symbolique. Une dizaine de militant·es ont vogué sur le Léman grâce à de petites embarcations, avant de nager les derniers mètres jusqu’au pied du jardin du siège de Nestlé, avenue du même nom. Après avoir enjambé les haies grâce à des échelles, ils et elles se sont affiché·es avec des banderoles dont l’explicite «Nestlé, tu nous pompes les nappes!»
KEYSTONE

Alors qu’ils et elles étaient rejoint·es par quelques dizaines de manifestant·es du Festival qui scandaient des mots de soutien à l’extérieur, les occupant·es pacifiques ont tenté de négocier une tenue de l’assemblée sur la pelouse de la multinationale avec la sécurité de Nestlé et la demi-douzaine de policiers qui accouraient. En vain, ils ont dû évacuer les lieux aux alentours de 14h.

«Nestlé ne veut pas parler avec nous car c’est samedi, mais aussi parce qu’ils n’assument pas les conséquences de leur privatisation de l’eau», n’a pas manqué de crier l’une des meneuses. Pas de quoi décourager l’assemblée bon enfant qui a quitté les lieux en promettant que ce n’était que partie remise.

Le Courrier, 15 octobre 2023, Achille Karangwa

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