L’impact des riches

Deux anthropologues se sont penchés sur les effets du train de vie des multimilliardaires en matière de réchauffement climatique. En un mot: catastrophiques.


3 1 198 tonnes. C’est le total des émissions de CO2 générées en 2018 par Roman Abramovitch, le magnat russe de l’acier qui détient le club de foot-ball de Chelsea, en Angleterre. Et encore, ce chiffre ne concerne que trois postes de ses activités: le logement, les transports et les yachts privés. Pour prendre un point de comparaison: en 2018, chaque habitant de la planète Terre émettait en moyenne 4,5 tonnes de CO2 par an, selon les estimations de la Banque mondiale. Au Bangladesh, qui figure parmi les pays du monde les plus exposés au réchauffement climatique, ce chiffre est de 0,5 tonne par habitant.

BIENS PRIVÉS, IMPACT PUBLIC. Dans une récente étude, Beatriz Barros et Richard Wilk, anthropologues à l’université d’Indiana (Etats-Unis), essaient de donner une idée de l’empreinte écologique associée au train de vie des 2095 milliardaires que compte notre planète, selon les estimations du magazine économique Forbes (1). «Les milliardaires font plus qu’accumuler de la richesse. La manière dont ils dépensent celle-ci en acquérant des jets privés, des yachts luxueux et de nombreux logements somptuaires engendre un effet énorme sur les biens communs», expliquent les chercheurs.
L’exercice n’est pas aisé, car les super-riches cachent une part considérable de leur consommation. En croisant 82 bases de données, les anthropologues ont cependant réussi à dresser le tableau de la marque laissée sur l’environnement par vingt des individus les plus riches de la planète.
Au total, le train de vie des vingt milliardaires étudiés – parmi lesquels on trouve des poids lourds comme Bill Gates, Ellon Musk, Jeff Bezos, Carlos Slim ou Bernard Arnault – a envoyé près de 164 mille tonnes de CO2 dans l’atmosphère en 2018. Cela correspond aux émissions totales de gaz carbonique produites, en une année, par 328 000 habitant-e-s du Bangladesh.

ABRAMOVITCH EN CHAMPION’S LEAGUE. M. Abramovitch, dont la fortune était estimée à 10,8 milliards de dollars en 2018, caracole en tête de ce classement. Ses jets privés, ses multiples demeures et son yacht de luxe pèsent en effet 31 198 tonnes de CO2 par an. M. Abramovitch est suivi par David Geffen, co-fondateur des studios DreamWorks, dont le train de vie exhale annuellement 18 400 tonnes de CO 2, et feu le promoteur et propriétaire de casinos Sheldon Adelson.

BERTARELLI AUSSI! Ernesto Bertarelli, treizième fortune helvétique selon le dernier magazine Bilan (lire en page 11) , se distingue dans ce classement. Avec plus de 10 000 tonnes de CO 2 liées chaque année à son train de vie, M. Bertarelli, dont la fortune est estimée à 13 milliards de francs, pollue nettement plus que des personnalités pourtant bien plus riches, comme Bill Gates (90 milliards de dollars) ou Jeff Bezos (112 milliards). La raison? Les yachts de luxe représentent 64% des émissions totales générées par la consommation des milliardaires, contre 33,4% pour leurs jets privés et 2,3% pour leurs logements.

QUI A LA PLUS GROSSE? Or M. Bertarelli est le propriétaire d’une embarcation de 96 mètres, nommée «Vava II». Des dimensions certes inférieures à celles du yacht de M. Abramovitch, «Eclipse», long de 162 mètres. Mais au jeu de «qui a la plus grosse» (barque), M. Bertarelli fait beaucoup mieux que M. Gates, qui n’avait pas de yacht en 2018, se «contentant» de quatre jets privés – sans oublier plusieurs hélicoptères.

POINTE DE L’ICEBERG. Ces chiffres laissent songeur. Ils ne représentent pourtant que la pointe de l’iceberg, car l’impact écologique de ces super-riches va bien au-delà de leur consommation individuelle. «Chaque milliardaire est en effet aussi un investisseur qui place son capital dans des fonds d’investissement, de grandes multinationales ou des réseaux de médias, avec un impact écologique décuplé», soulignent justement Beatriz Barros et Richard Wilk. Amazon, l’entreprise de Jeff Bezos, a par exemple rejeté 51,2 millions de tonnes de CO 2 dans l’atmosphère en 2019.

TOUT PRÈS DE CHEZ NOUS. Loin de prétendre donner une image exhaustive de l’impact catastrophique des plus riches sur la planète, l’étude des deux anthropologues a pour objectif de «permettre de visualiser le gigantesque déséquilibre de consommation entre les différents groupes de population sur la terre», contribuant ainsi au débat sur les responsabilités dans le changement climatique à l’œuvre. Une réflexion à prolonger en consultant la liste annuelle des 300 plus riches de Suisse, et en tentant d’imaginer l’impact de leurs activités sur notre planète… â—¼

(1) Beatriz Barros et Richard Wilk: The outsized carbon footprints of the super-rich. À consulter ici: https://www.tandfonline.com/doi/10.1080/15487733.2021.1949847

Services publics, 3 décembre 2021

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