Semences thaïlandaises menacées

La Suisse insiste pour limiter l’usage traditionnel des semences dans le cadre d’un nouvel accord de libre-échange avec la Thaïlande au détriment des petits paysans, avertit Swissaid. L’enjeu des semences, aussi bien pour les multinationales qui les commercialisent que pour les petits paysan·nes qui les cultivent, est colossal en Thaïlande où l’agriculture emploie près de 12 millions de personnes.

Propriété intellectuelle

La stratégie bilatérale est dorénavant préférée en matière de libre-échange à la mise en branle de la lourde machinerie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Dans la foulée de l’accord entre l’Association européenne de libre-échange (AELE) et l’Indonésie, entré en vigueur en 2021, des discussions ont repris avec la Thaïlande en vue d’une ratification à l’horizon 2024. Des parlementaires des quatre Etats membres de l’AELE, actuellement en mission dans ce pays de plus de 70 millions d’habitant es, craignent des conséquences négatives sur les populations thaïlandaises. Le sort des paysan·nes se retrouve en particulier entre les mains des négociateur·trices, mis·es sous pression par des grandes entreprises.

L’enjeu des semences, aussi bien pour les multinationales qui les commercialisent que pour les petits paysan·nes qui les cultivent, est colossal en Thaïlande où l’agriculture (avec la pêcherie et la foresterie) emploie près de 12 millions de personnes. La Thaïlande, un des plus importants producteurs de céréales au monde, serait en passe de céder à la pression internationale pour privatiser ses semences, exposant paysan·nes et consommateur·trices au péril de l’insécurité alimentaire, selon l’ONG Swissaid.

Interdiction de replanter

En effet, dans ces tractations, la Suisse demande l’application de la réglementation de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV 91). Si la Thaïlande acceptait cette exigence, elle devrait incorporer ces normes restrictives dans sa législation. En vertu de ces nouvelles dispositions, les petit·es fermier·ères ne seraient souvent plus autorisé·es à réutiliser leurs propres semences mais devraient se fournir auprès de semenciers, quitte à s’endetter. Laurent Gaberell, de l’ONG Public Eye, précise: «Si une variété est protégée sous UPOV 91, le paysan n’a pas le droit de planter les semences issues de sa propre récolte l’année suivante. Des dérogations extrêmement limitées sont possibles, mais uniquement pour la consommation de l’agriculteur et non pour la vente sur le marché. Et encore, le cultivateur devra payer une redevance à l’entreprise détentrice du droit de propriété intellectuelle (certificat d’obtention végétale) sur la variété.»

«Cela met en danger la sécurité alimentaire dans les pays du Sud, au profit d’une poignée de grands groupes» Simon Degelo

Déjà imposée à l’Indonésie en 2021, cette convention, de l’avis de plusieurs experts, reste inadaptée à un pays en développement comme la Thaïlande où l’accès aux semences s’opère de manière informelle entre paysans. Une pratique millénaire susceptible d’être transformée en délit, avec une réduction drastique des variétés à la clé. «Cela met en danger la sécurité alimentaire dans les pays du Sud et la biodiversité, au profit d’une poignée de grands groupes», alerte Simon Degelo, responsable des questions de semences et de biodiversité chez Swissaid. Pour le conseiller national (Les Vert-e-s) Nicolas Walder en mission sur place, «le risque est particulièrement important pour le riz qui reste en Thaïlande aux mains des petits paysans à plus de 50%. La grande diversité des espèces dont bénéficie cette culture est directement liée à l’autonomie des paysans dans l’utilisation, l’échange et le commerce local de semences».

Fais ce que je dis, pas ce que…

Qui y gagnera alors? «Le seul bénéficiaire sera l’industrie agrochimique qui verra son monopole sur les semences se renforcer encore», répond Nicolas Walder. Une industrie florissante en Suisse. Néanmoins, son principal fleuron, Syngenta, est passé en mains chinoises en 2016. Partant, le cofondateur de l’Association for Plant Breeding for the Benefit of Society (Apbrebes) François Meienberg s’interroge: «Pourquoi la Suisse prend-t-elle le risque d’affaiblir les droits des paysans en Thaïlande et d’augmenter l’insécurité alimentaire pour aider une compagnie chinoise – dont la division semences a son siège à Chicago [Syngenta Seeds]?» Une attitude d’autant moins cohérente d’après les ONG que la Suisse s’est engagée à protéger le droit des cultivateurs·trices à réutiliser, échanger et vendre des semences à travers la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans. Autre paradoxe: trois des quatre pays membres de l’AELE, dont la Suisse, n’ont pas intégré les règles de l’UPOV 91 dans leurs propres lois nationales.

Enfin, l’agriculture ne sera peut-être pas le seul secteur à inquiéter la société civile. La Suisse pourrait aussi tenter de renforcer la portée des brevets sur les médicaments, autre domaine où l’industrie suisse cherche à consolider son avantage. Selon Patrick Durisch, de Public Eye, «les ONG thaïlandaises dans le secteur de la santé craignent qu’avec cet accord des situations de monopoles soient prolongées au-delà de ce que prévoient les accords de l’OMC». L’accès aux médicaments pour les patient·es thaïlandais·es pourrait en pâtir.

Le Courrier, 8 septembre 2022, Jérôme Duval, collaboration: Christophe Koessler

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