Agents épuisés, passagers en danger ?

A l’aéroport de Cointrin, les syndicats Unia et SSP ont réuni les témoignages d’employés de Securitas. Depuis la reprise de l’accueil des passagers par Securitas, les employés se plaignent d’une péjoration de leurs conditions de travail.

Les syndicats Unia et SSP ont invité, mercredi matin, cinq employés de Securitas à témoigner de leurs conditions de travail. C’est la suite d’une affaire qui remonte à juin 2018; la direction de l’Aéroport de Genève avait attribué l’accueil des passagers à la société Securitas. L’entreprise ISS, qui assurait auparavant ce mandat, a dû conclure un accord de transfert des employés (notre article du 27 décembre 2018). Huit mois plus tard, ceux-ci dénoncent des licenciements sans consultation, des horaires qui dépassent les limites de la légalité, des sous-effectifs et des démissions pour épuisement.

Travail sur appel

Depuis la mise en place de deux nouveaux scanners de contrôle des passagers, vingt mille heures de travail ont disparu, suivies de licenciements économiques. «Lorsqu’il y a des malades, on doit parfois réaliser le travail de quatre personnes en même temps», explique Frédéric*.

L’entreprise privée a proposé des contrats, sans garantie minimum d’heures, à des auxiliaires. Ces nouveaux contrats permettent à Securitas d’appeler l’auxiliaire jusqu’à 20 h la veille au soir. Ils sont formés sur le tas par les employés, déjà surchargés: «On ne peut pas les former dans ces conditions!» s’indigne Francisca.

Sa collègue, Patricia, lit sa fiche horaire à voix haute: «8:00-20:30, 9:00-22:00, 8:30-22:00». Des horaires dits «coupés» qui bloquent les employés trois heures durant. Des séances de conciliation ont eu lieu avec Securitas. Celle-ci affirme garantir une heure de pause dans sa planification de base, qui peut parfois s’étendre jusqu’à deux heures. Les témoignages ne vont pas dans ce sens.
Repères

Le transfert d’ISS à Securitas a représenté une perte pour les employés.

– Salaire horaire: 26.- à 23,40.-
– Pressing remboursé: 50.- par mois à 0.
– Semaines de vacances: 5 à 4.
– Horaires coupés: non/oui.

«Le corps ne tient plus»

Cette cadence de travail se répercute sur la santé des employés: «Il est arrivé plus d’une fois qu’une personne craque de fatigue», explique Patricia. En résultent des situations humiliantes: «Une collègue s’est même fait dessus au contrôle des passagers car personne n’est venu prendre le relais.» Les infrastructures ne garantissent pas un temps de repos de qualité. La salle réservée au personnel peut accueillir 6 employés sur les 180 de Securitas. Si la salle est occupée, ils mangent par terre, dans les escaliers ou au sous-sol. «Si on a assez de temps pour faire une sieste, on dort à même le carrelage», ajoute Patricia.

Une régulation des pauses a été demandée par l’aéroport. Un quart d’heure chaque deux heures. Cette mesure financée par l’aéroport n’est toutefois pas respectée à cause du sous-effectif: «C’est utopique, ces quinze minutes. On les prend quand on peut et Securitas empoche l’argent sur notre dos!» conclut Frédéric. L’entreprise, quant à elle, n’y voit pas une obligation.

Ces conditions aboutissent à des démissions. «J’arrive à un point où je ne peux plus travailler, regrette Patricia. Je préfère être pénalisée au chômage, j’ai des économies.» Chloé ajoute: «Si les gens ont démissionné c’est à cause du corps qui ne tient plus.»

Service et sécurité des passagers

Des «passagers mystères» évaluent régulièrement les compétences. L’échec du test mène à une convocation, un blâme si cela se répète et peut former l’assise d’un futur licenciement. «J’ai échoué mon dernier test car je n’avais pas regardé le passager mystère dans les yeux, affirme Frédéric. J’ai demandé des informations pour réussir la prochaine évaluation mais les responsables sont évasifs.» Les fautes sont plus fréquentes après dix heures de travail: «Sans repas et sans repos depuis plusieurs heures, il nous arrive de nous tromper entre le français et l’anglais ou de répéter deux fois une information», explique Patricia. Le risque principal: la sécurité des passagers. Les employés expriment une inquiétude unanime: «Nous avons peur du jour où on tombera sur un passager qui profitera de notre épuisement pour monter dans l’avion.»

Un dialogue difficile

Les syndicats Unia et SSP dénoncent un partenariat public-privé déficient: «Securitas se cache derrière son statut d’entreprise privée mais son mandat porte sur le secteur public. Le groupe doit assurer des conditions de travail décentes.» Jamshid Pouranpir, syndicaliste actif dans les affaires qui touchent l’Aéroport de Genève, déplore: «On est en rupture de discussion!» Un discours qui étonne la firme: «Une médiation, demandée par Securitas, a été acceptée et activée auprès de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). De plus, le dialogue est ouvert avec nos collaboratrices et collaborateurs.» Hier soir, Genève Aéroport a confirmé avoir pris connaissance de «certains éléments». Un audit est prévu en 2019 sur le contrat des prestataires, notamment sur la question du quart d’heure de pause. «Genève Aéroport entend rassurer le personnel et les passagers. Leur sûreté et sécurité ne sont absolument pas mises en danger.» I

*Tous les prénoms ont été changés.

Le Courrier, 20 février 2019, Xenia Villiers
Photo : KEYSTONE

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