RFFA, le volet fiscal

La Loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS lie deux sujets qui nous touchent directement: l’imposition des entreprises et le financement de l‘AVS. Un paquet complexe, un débat important.

Plusieurs cantons (Genève, Zoug, Bâle, Fribourg, Vaud, etc.) ont mis sur pied des statuts fiscaux privilégiés pour attirer des sociétés multinationales. En basant leur siège en Suisse, ces entreprises ont pu réduire massivement leur imposition. Les pays de l’OCDE ont fait pression et demandé l’abolition de ces outils d’évasion fiscale. Ils ont menacé, à raison, de mettre la Suisse sur leur liste noire des paradis fiscaux. Pour éviter des sanctions internationales, la Suisse est donc obligée d’abolir ces procédures contestées.

NOUVEAUX DISPOSITIFS. L’abolition de ces instruments d’évasion fiscale augmenterait de manière significative les impôts pour ces entreprises. Les gouvernements cantonaux concernés craignent donc que ces sociétés (et leur impôts) partent. Pour éviter que ces sociétés internationales déménagent vers d’autres paradis fiscaux, le Conseil fédéral a cherché d’autres dispositifs leur permettant de réduire les impôts – abaissant par la même occasion l’imposition de toutes les entreprises qui réalisent de substantiels bénéfices.

DE LA RIE III AU RFFA. Le projet de Réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) prévoyait, d’une part, la création de nouveaux privilèges fiscaux: «patentbox»; «déduction pour frais de recherche et développement»; «déduction des intérêts notionnels» – des instruments non contestés, jusqu’ici, par l’OCDE. De l’autre, la RIE III préparait des baisses de l’imposition des entreprises au niveau des cantons. Le projet a été balayé par le vote populaire de février 2017. Au mois de mars 2018, le Conseil fédéral publiait son message concernant le Projet fiscal 17. En mai, le Conseil des États a modifié ce projet, lui accolant une nouvelle étiquette: Loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA).

STATUTS CANTONAUX ABOLIS. Le projet RFFA prévoit l’abolition des privilèges fiscaux contestés. Au niveau fédéral, il n’entraînerait pas de baisse des recettes fiscales, selon les estimations du Conseil fédéral. Le taux d’imposition des dividendes des actionnaires passerait de 60 à 70%, ce qui entraînerait même, selon les projections du Conseil fédéral, une légère augmentation des recettes. Cela permettrait de financer des apports supplémentaires à l’AVS. Le projet prévoit aussi une augmentation des ristournes du produit de l’Impôt fédéral direct vers les cantons (de 17% à 21,2%). Les cantons, en revanche, ne seraient tenus d’imposer les dividendes qu’à un taux minimal de 50%.

NOUVEAUX PRIVILÈGES. Le projet RFFA contient toujours de nouveaux privilèges fiscaux pour les entreprises internationales, partiellement modifiés par rapport à la version du projet RIE III:
◼ la «patentbox» permettrait d’éviter l’imposition des gains provenant des droits de la propriété intellectuelle, cette fois limités aux brevets et droits comparables;
◼ les déductions pour «recherche et développement», cette fois limitées aux frais de personnel et suppléments;
◼ l’instrument de la déduction des intérêts notionnels (NID), limité au canton de Zurich.

ET LES CANTONS? Les gouvernements sont en train de préparer l’adaptation de leurs lois cantonales d’imposition – ou l’ont déjà fait. Il est donc vrai que le projet RFFA ne prévoit pas de baisses d’impôt au niveau fédéral et qu’il ne prévoit pas directement de baisses au niveau cantonal. Mais il est vrai, aussi, que le projet RFFA a pour but de mettre à disposition les outils qui permettraient de baisser l’imposition des entreprises au niveau cantonal. Le canton de Vaud a déjà fortement baissé son taux d’imposition des bénéfices; à Berne, nous venons de lancer le référendum contre une loi qui viderait les caisses du canton et celles des villes. Bien sûr, la facture serait à la charge des services publics, de ses usagers et de son personnel.

LE DÉBAT EST LANCÉ. Le débat sur le projet RFFA s’annonce donc compliqué. L’apport financier à l’AVS est positif. Il est vrai aussi que plusieurs éléments du projet RIE III ont été modifiés. En même temps, il est clair que ce projet s’inscrit dans une logique de baisse générale de l’imposition des entreprises au niveau des cantons. Après le débat au Conseil national et les décisions finales du parlement en septembre, l’Assemblée des délégué-e-s du SSP devra faire le point et prendre position sur ce projet controversé. ◼

Repérages
… ET APRÈS LE VOTE?
Que se passerait-il si le projet RFFA était accepté?
◼ Avec un financement supplémentaire de plus de 2 milliards par année, l’AVS resterait dans les chiffres noirs pour plusieurs années. Au cas où le parlement voudrait augmenter l’âge de la retraite, nous pourrions probablement gagner le référendum.
◼ Au niveau fédéral, il n’y aurait pas de pertes fiscales, selon les projections du Conseil fédéral – probablement, les chiffres resteraient noirs.
◼ Au niveau cantonal, nous devrions lancer une série de référendums contre des lois cantonales visant à baisser les impôts des entreprises. La votation clé sera probablement celle de Berne, où nous avons déjà lancé le référendum. Si le projet RFFA était rejeté, il y aurait plusieurs scénarios possibles:
◼ Il est très probable que le Conseil fédéral essayerait d’utiliser le droit d’urgence pour abolir les privilèges fiscaux contestés, ceci dans le but d’éviter les sanctions internationales. Les rentrées supplémentaires de la Confédération seraient soit utilisées pour baisser les impôts fédéraux, soit redistribuées aux cantons, qui les utiliseraient probablement pour baisser leurs taux d’imposition.
◼ L’apport supplémentaire à l’AVS ne serait pas réalisé; la majorité de droite au Parlement fédéral essayerait d’imposer la baisse des prestations, voire l’augmentation de l’âge de la retraite.
◼ Nous serions confrontés à des projets de lois cantonales qui baisseraient les impôts des entreprises et devrions lancer plusieurs référendums dans les cantons. Comme le canton de Nidwald l’a déjà fait, certains cantons pourraient essayer d’introduire une «patentbox». Les cantons qui, jusqu’ici, avaient utilisé massivement les instruments dorénavant interdits (Genève, Zoug, Bâle) baisseraient fortement l’imposition des entreprises, ce que le canton de Vaud a déjà réalisé. Les autres cantons essayeraient de suivre, la concurrence des cantons pour baisser les impôts s’aggraverait. SG ◼︎︎

Contexte
RFFA, LE VOLET AVS

Le nombre de nouveaux rentiers AVS augmente. Cette réalité est due à la génération du baby-boom des années 1950 et 1960. Conséquence, les dépenses de l’AVS augmentent plus que les recettes. Le déficit de répartition de l’AVS (la comparaison entre les recettes provenant des cotisations et les dépenses) croît d’année en année: – 320 millions en 2014, – 579 millions en 2015, – 766 millions en 2016, jusqu’à –1039 millions en 2017.
Actuellement, ce déficit est encore couvert par le résultat des placements du fonds AVS (la valeur actuelle du fonds est de 32 milliards). Mais bientôt, les recettes du fonds AVS ne pourront plus couvrir le déficit de répartition. La majorité droite du parlement utilisera cette situation pour attaquer les prestations de l’AVS: augmentation de l’âge de la retraite, annulation de l’indexation des rentes AVS, «mécanisme d’intervention» (coupes automatiques au cas où le déficit dépasserait un seuil défini), etc. Le projet RFFA contient des mesures qui amélioreraient le financement de l’AVS:
◼ Une augmentation des cotisations (pour employeurs et employé-e-s, à hauteur de 0,15% chacun). Nos cotisations AVS passeraient donc de 4,2% à 4,35%. Avec le système des cotisations salariales, les hauts revenus payent beaucoup plus, puisque le salaire imposable n’est pas limité. Si l’on compare cette augmentation des cotisations pour l’AVS à celles subies dans les caisses de pensions ou pour l’assurance maladie, elle reste très modeste.
◼ La Confédération couvrirait une plus grande partie des charges (environ 20,2%, au lieu des 19,55% actuels). Selon la Constitution fédérale, la Confédération pourrait financer jusqu’à 50% des charges de l’AVS – or en est aujourd’hui très loin. L’impôt fédéral est le plus social du pays, puisqu’il connaît une forte progression – c’est en quelque sorte notre «impôt des riches». Et certainement, il vaudra mieux investir le surplus de recettes fédérales dans l’AVS plutôt que financer l’achat de nouveaux avions pour l’armée ou une baisse générale des impôts.
◼ Le taux de TVA ne changerait pas. Par contre, l’entier du pourcent de TVA supplémentaire mis en place il y a une décennie («pourcent démographique») profiterait à l’AVS – jusqu’ici, une part de ce montant était utilisée à d’autres fins.
Au total, l’AVS disposerait de recettes supplémentaires de plus de 2 milliards. SG ◼

STEFAN GIGER . SECRÉTAIRE GÉNÉRAL SSP - FLICKR.COM . PHOTO - Services publics, 6.08.2018

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