L’assurance de base, ce pot de miel

CAISSE-MALADIE • La loi interdit aux assureurs de réaliser des bénéfices dans l’assurance-maladie de base. Et pourtant, ils se battent pour conserver ce marché. Il y a des explications.

«Là où les caisses peuvent faire des affaires, c’est dans les assurances complémentaires, mais elles ont besoin de l’assurance de base, parce qu’elle sert de porte d’entrée pour les assurés.» Tel est le soupçon véhiculé par le conseiller national Jean-François Steiert (ps/FR) et les partisans de la caisse publique soumise au peuple le 28 septembre. Un soupçon qui s’appuie sur l’étonnement de voir, dans le contexte économique actuel, des entreprises se battre pour conserver un marché où elles ne réalisent aucun bénéfice. Les assureurs militent en effet ouvertement pour conserver le marché de l’assurance-maladie de base où la loi leur interdit de faire des bénéfices.

Surprenant? «Les assureurs sont attachés à notre système de santé fonctionnant sur le principe de la concurrence régulée qui, même s’il comporte un certain nombre d’éléments pouvant être améliorés, est préférable à un système géré par l’Etat dans lequel les assurés perdraient leur liberté de choix», répond Christophe Kaempf, porte-parole de santésuisse, une faîtière des caisses.

Les caisses s’y retrouvent
L’argument est recevable bien sûr, mais l’attachement des caisses au système actuel ne saurait être purement historique ou idéologique. Si elles tiennent tant au marché de l’assurance de base, c’est qu’elles doivent aussi y avoir un intérêt. «Les assureurs-maladie peuvent se distinguer auprès de leurs clients en fournissant des services et des conseils de qualité afin de les fidéliser et, s’ils le souhaitent, de leur proposer des produits complémentaires», reconnaît Christophe Kaempf.

Ce marché des assurances complémentaires est, lui, soumis à la libre concurrence et les bénéfices y sont autorisés. Les caisses s’y retrouvent donc. Mais les assurés aussi, objecte le porte-parole: «Le fait qu’une seule et même assurance propose à la fois l’assurance de base et les complémentaires est aussi dans l’intérêt des assurés, puisqu’une étude mandatée par santésuisse montre que ces synergies permettent d’économiser 400 millions de francs par année, 200 mio dans l’assurance de base et 200 mio dans les complémentaires.» Un montant – il faut le préciser – quarante fois supérieur à celui estimé par le Conseil fédéral, qui milite pour une claire séparation entre les deux domaines.

Comme les imprimantes
La complémentarité des deux domaines profite aux caisses. «Le fait d’offrir l’assurance de base facilite la vente des complémentaires. On peut considérer que l’assurance de base est un produit d’appel», explique Claude Jeanrenaud. Est-ce là un cas unique? Non, «d’autres branches économiques utilisent un modèle d’affaires pas trop différent». Et le professeur d’économie à l’Université de Neuchâtel de citer, comme exemples, «les fabricants qui vendent les imprimantes à perte pour se rattraper sur les cartouches ou les opérateurs de téléphonie qui donnent des smartphones à un franc pour se refaire largement sur le prix des abonnements ou des communications».

Malgré tout, le marché de l’assurance-maladie garde des spécificités. Ainsi, chacun est libre de contracter une complémentaire auprès d’une autre caisse que son assurance de base. Mais là deux chiffres – issus de la même étude de santésuisse citée plus haut – viennent corroborer l’intérêt des caisses à accroître le nombre de leurs assurés de base. Le premier est que 80% des assurés bénéficient d’au moins une assurance complémentaire. Le second est que 80% d’entre eux l’ont auprès du même assureur.

Autre avantage pour les assureurs d’être actifs dans les deux domaines: «Vous connaissez la situation pathologique de vos assurés et cela vous permet de cibler vos offres complémentaires en fonction d’un public visé», avance Jean-François Steiert. Et plus une caisse a d’assurés, plus elle peut développer de produits spécifiques complémentaires.

«Mais où est le problème?»
Porte-parole du Groupe Mutuel, qui compte près de 1,2 million d’assurés, Yves Seydoux ne le conteste pas: «Les grandes caisses ont une panoplie d’assurés plus large qui leur permet de développer des actions d’assurances plus intéressantes en matière de complémentaires. Mais où est le problème?»

Pour les partisans de l’initiative, le modèle actuel a d’autres effets indésirables: «Les caisses font tout pour que l’assurance de base paie le moins de prestations possible, parce que ça leur permet de se différencier d’autant mieux sur l’assurance complémentaire», argue Jean-François Steiert. Selon lui, il facilite également la sélection des risques pour les complémentaires. Cela ne change rien aux yeux d’Urs Schwaller (pdc/FR): «Avec ou sans caisse unique pour l’assurance de base, les assureurs vont demander des renseignements sur votre état de santé avant de contracter une complémentaire, comme c’est déjà le cas aujourd’hui», riposte le conseiller aux Etats, opposé à l’initiative.

Enfin, les assureurs ont une autre raison de se battre pour conserver l’assurance de base. Même s’ils ne peuvent y faire de bénéfices, celle-ci constitue près des trois quarts de leur volume d’affaires. Pour l’année dernière, le volume des primes de l’assurance de base est d’environ 25 milliards de francs, contre 9,7 milliards pour les complémentaires, indique Vinzenz Mathys, porte-parole de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). Y renoncer transformerait les géants du domaine en nains de l’assurance.

L’écheveau des caisses

Si les caisses ne s’intéressaient au marché de l’assurance de base que pour mieux attirer les assurés vers les complémentaires qu’elles proposent, elles devraient toutes être actives dans les deux domaines. Or, c’est loin d’être le cas. Sur les 61 caisses qui proposent des assurances de base, elles ne sont que 36 à vendre également des complémentaires. Une grosse moitié des assureurs qui représentent toutefois la quasi-totalité des assurés. Les quinze plus grandes concentrent, à elles seules, 95% des assurés.

Si le nombre de caisses a fortement diminué ces dernières années au travers de rachats et de fusions, il en existe encore de toutes petites. Ainsi, le village haut-valaisan de Zeneggen a encore sa propre caisse qui compte moins de 200 assurés. A défaut de proposer elles-mêmes des complémentaires, nombre de petites caisses ont conclu des partenariats avec de grands assureurs dans ce but.

Par ailleurs, des groupes tels que CSS, Helsana, Mutuel ou Visana ont chacun plusieurs vitrines dans l’assurance de base et une seule pour les complémentaires.

A signaler encore que certains assureurs actifs dans d’autres domaines que la maladie (accidents, perte de gain, vie, ménage, etc.) proposent également des complémentaires à leurs clients, souvent en partenariat avec des assureurs-maladie, comme c’est le cas pour Generali avec Assura et Sanitas. Dans la liste, on trouve même un assureur, Innova, qui s’est retiré depuis deux ans de l’assurance de base pour se concentrer sur les complémentaires, en plus de ses autres domaines de compétence (accidents, perte de gain).

De même, nombre de caisses-maladie profitent de leur incroyable base de données pour vendre des assurances à leurs clients dans de tout autres domaines. Par exemple, le Groupe Mutuel propose depuis peu une protection juridique contre les risques numériques (skimming, piratage de données personnelles, etc.), cela en partenariat avec Assista, assureur spécialisé dans ce domaine.

08 09 2014, Philippe Castella, Le Courrier

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