Le canton de Vaud aura-t-il un budget 2026 mercredi prochain? Rien n’est moins sûr. Fait rare dans l’histoire récente du canton, au terme d’une deuxième semaine consacrée au projet gouvernemental au Grand Conseil. Présentant un déficit de 331 millions de francs et assorti de 305 millions d’économies combattues depuis deux mois par un mouvement de grèves et de manifestations d’une ampleur inédite (lire ci-dessous), le projet patine.
Après quatre jours de débats tendus, les député·es ont bouclé mercredi soir une première lecture laborieuse. Le Conseil d’État a ensuite réuni les chef·fes de groupe pour tenter d’ouvrir une voie plus sereine vers le vote final. En vain: même la mise sur la table d’un retrait de la «contribution de crise» sur les salaires de la fonction publique n’a pas suffi. Les tractations se poursuivent, avant une ultime semaine de débats et de mobilisation.
Négociation politique
Faute d’avoir engagé une négociation avec les syndicats, comme ceux-ci le réclament depuis octobre, le Conseil d’Etat n’a pas réussi, après plus d’une heure d’échanges avec les groupes, à dégager un consensus permettant de s’assurer un respect du calendrier. A droite, revenir sur la ponction de 0,7% sur les salaires des fonctionnaires dès la classe 6 continue de buter: même assorti de la condition de compenser ailleurs les 24 millions qu’elle représente, le geste reste difficilement acceptable pour une partie de la majorité. Alors que cela représente la ligne rouge fondamentale de la minorité de gauche.
«En refusant de négocier avec les syndicats, le Conseil d’État s’est délesté de ses responsabilités sur le Grand Conseil, créant lui-même cette situation» Élodie Lopez
Un compromis sur ce point avait déjà échoué en plénum. «Nous comprenons que le message passe par là et que ponctionner uniformément les salaires n’est pas la bonne solution. Nous proposions d’exempter jusqu’à la classe 10 et d’épargner ainsi gendarmes, infirmières et enseignant·es du primaire, mais cela a échoué à une voix près», explique Jerome de Benedictis, chef du groupe vert’libéral, laissant entendre, comme d’autres voix à droite, leur marge d’ouverture sur ce point.
Concession insuffisante
A gauche, l’ouverture de discussions sur cette mesure est saluée. «Toutefois nous avons également transmis aux autres groupes des demandes complémentaires à l’annulation de la contribution de crise», précise Sébastien Cala, chef de groupe socialiste. S’il ne les détaille pas et n’était jeudi soir pas certain que la négociation soit acceptée sur ces éléments, les débats et plusieurs sources indiquent que le maintien des décharges de fin de carrière pour les enseignant·es, le ralentissement de la revalorisation salariale dans le secteur social parapublic ou encore diverses coupes dans la santé pourraient y figurer.
«Rien que de parler du 0,7%, c’était déjà l’Everest!», relève Élodie Lopez, cocheffe du groupe Ensemble à gauche et POP, évoquant les discussions houleuses de mercredi. Elle pointe un autre blocage: «Tout le monde, Conseil d’État compris, reconnaît que le canton recevra finalement une part des bénéfices de la Banque nationale suisse l’an prochain. Mais la majorité a refusé d’inscrire cette rentrée au budget.» Ces montants, estimés à au moins quelques dizaines de millions, pourraient pourtant réduire d’autant les coupes prévues. La droite préfère toutefois les affecter à la reconstitution des réserves financières de l’État, également mises à contribution pour respecter le frein à l’endettement.
Logiques irréconciliables?
Ces revendications butent sur deux obstacles. D’une part, «ces négociations avec le Conseil d’État doivent se limiter à une mesure phare, contribution de crise ou autre, destinée à débloquer la crise institutionnelle. Le reste doit demeurer dans le débat parlementaire», avertit Jerome de Benedictis. D’autre part, selon le chef de groupe UDC, Cédric Weissert, «chaque abandon de baisse de charges devra être compensé».
Pour les libéraux-radicaux, «il nous faut maintenant passer au deuxième débat sur la base du premier. Il y aura sans doute de notre côté une ouverture sur les exemptions concernant la contribution de crise si le frein à l’endettement reste respecté», tranche Florence Bettschart-Narbel, présidente du parti. Elle se dit par ailleurs «satisfaite qu’à l’issue du premier débat nous ayons évité des charges supplémentaires pour les communes et les entreprises».
Pour Élodie Lopez, «il est minuit moins cinq pour obtenir malgré tout quelques avancées» pour une gauche minoritaire tant au législatif qu’à l’exécutif. Si le camp progressiste rejette le projet de budget en l’état, il ne souhaite pas pour autant un refus le 17 décembre, date butoir. A droite, Florence Bettschart-Narbel estime au contraire que «la gauche doit cesser le chantage et l’enlisement par des prises de parole répétitives» pour permettre l’adoption du budget avant minuit ce soir-là .
Le reproche est fermement contesté à gauche, où socialistes et écologistes ne veulent pas finir l’année sans budget. Plus critique sur les éventuelles couleuvres à avaler, la gauche radicale n’exclut pas un refus, même si, souligne Elodie Lopez, «tout le monde gagnerait à avoir un budget sous toit mercredi. Mais il est pernicieux que la droite nous somme d’arrêter d’amender et de débattre: en refusant de négocier avec les syndicats, le Conseil d’État s’est délesté de ses responsabilités sur le Grand Conseil, créant lui-même cette situation». Les débats reprendront mardi dans un climat qui n’a jamais aussi tendu pour un budget.
Mobilisé·es jusqu’en 2026
Galvanisé·es par une nouvelle journée de grève mardi, suivie encore par plus de 22 000 personnes dans les rues de Lausanne, quelques centaines de travailleuses et travailleurs se sont réuni·es mercredi soir en assemblée générale. Beaucoup sont venu·es témoigner de leur détermination à poursuivre un mouvement qui, déjà , se projette en 2026.
«A l’université de Lausanne, c’est historique: environ 270 salarié·es grévistes et plus de 1200 étudiant·es en soutien. Nous venons de voter la poursuite de la grève reconductible dès jeudi», rapporte un doctorant. La solidarité s’organise avec les Hautes Écoles sociales (HETSL), de la santé (HESAV) ou pédagogique (HEP), et des solutions sont trouvées pour concilier mobilisation et validation des cours. A l’HESAV, la grogne est aussi portée par les étudiantes en soins infirmiers: «Nous ne sommes pas touchées par la ponction de 0,7%, mais nous défendons un système de santé de qualité.» A la HETSL, les mobilisé·es, corps estudiantin et professionnel, préparent une garderie solidaire pour permettre aux accueillantes de jour de rejoindre les actions. La création d’un collectif «Touche pas à mes services publics!» est également annoncée. Il vise à coordonner les usagères et usagers ainsi que leurs associations, afin de soutenir la mobilisation au sein de la population. Il alimente aussi une caisse de grève solidaire qui a déjà récolté plus d’un millier de francs en quelques heures.
«Nous pouvons être fiers de ce mouvement malgré l’intransigeance du Conseil d’État»
Un enseignant
Dans l’école obligatoire, plusieurs enseignant·es relatent les efforts consentis pour permettre aux maîtres·ses des petites classes de maintenir l’encadrement des élèves tout en participant, à leur mesure, à la mobilisation. Au fil de la soirée, les témoignages évoquent une joie collective née de ces semaines de lutte, malgré la fatigue. «Le meilleur team building, c’est la grève!» s’enthousiasme une participante. Un collègue résume: «Nous pouvons être fiers de ce mouvement malgré l’intransigeance du Conseil d’État. Grèves et manifestations massives, actions et lieux divers… Il faudra capitaliser sur tout ce que nous avons construit pour la suite.»
Un agacement revient toutefois avec insistance: les accusations de violence relayées dans certains médias, à la suite des bousculades lors de la sortie des député·es du Grand Conseil mardi 2 décembre. «Les comparaisons avec des fascistes ou avec la tuerie du Grand Conseil de Zoug sont inacceptables et inquiétantes», s’indigne un militant. Selon les informations obtenues par Le Courrier, la police note que ce jour-là , «quelques députés ont été pris à partie et il a été nécessaire de s’interposer à quelques reprises», mais aucune interpellation n’a eu lieu. Le Ministère public confirme n’avoir reçu aucune plainte ni dénonciation pénale.
En fin de soirée, une résolution est adoptée. Elle appelle à «condamner publiquement la criminalisation du mouvement» et à poursuivre la mobilisation afin d’obtenir l’ouverture de négociations avec le gouvernement. La suite est déjà fixée: nouvelle journée de grève, actions et manifestation lundi, puis un rassemblement «festif» mardi devant le Grand Conseil. Consciente que le bras de fer se prolongera cet hiver, l’assemblée a arrêté une nouvelle réunion au 6 janvier, suivie d’une éventuelle journée de grève, action et manifestation le 12 janvier. AKA
Le Courrier, 12 décembre 2025, Achile Karangwa

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