Ils ne veulent pas nous laisser respirer

Les projets parlementaires qui représentent des menaces aux conditions de travail, de retraite ou encore de santé des travailleurs-euses sont nombreux. Il est donc ardu de déterminer celui qui possède la plus grande dangerosité.
L’initiative parlementaire de Jürg Grossen – qui prévoyait que le statut d’indépendant-e puisse être fixé par “accord entre les parties” – vient d’être écartée. Dans l’état actuel du rapport de force, il s’agit, à n’en pas douter, d’une bonne nouvelle.

De telles nouvelles encourageantes (entendues dans le sens d’éviter des dégradations) deviennent cependant toujours plus rares, tant la droite et le patronat cherchent à éliminer toute poche de respiration pour les travailleurs-euses. L’attaque portée aux salaires minimaux cantonaux par le Conseil national le 17 juin a, à cet égard, une signification et une portée majeures. La «Chambre du peuple» a en effet décidé que des salaires fixés par des Conventions collectives de travail (CCT) étendues devaient primer sur des salaires minimaux cantonaux qui leur seraient supérieurs. En d’autres termes, une CCT étendue pourrait permettre de verser un salaire en dessous des minima fixés par les cantons.

Pour revenir aux sources des salaires minimaux cantonaux, il faut rappeler que ces derniers ne constituent aucunement des mesures de politique économique. En effet, sur le plan juridique, il s’agit d’une compétence réservée à la Confédération. En revanche, les cantons ont la compétence pour prendre des dispositions de politique sociale, et c’est à cela que les salaires minimaux cantonaux doivent leur existence. Leurs montants ont en effet été fixés non en fonction des exigences d’une vie digne, mais simplement en fonction des critères devant permettre de ne pas dépendre des prestations sociales alors qu’une activité professionnelle est exercée. Les cantons ont uniquement la possibilité d’agir contre la pauvreté, rien de plus. Mais c’en est déjà trop pour le patronat de ce pays qui préfère renverser l’ordre juridique fédéraliste plutôt que de concéder un pouce de terrain sur la détermination des salaires. Peu importe que le Conseil fédéral s’oppose à ce projet, peu importe que 25 cantons sur 26 en pensent autant, le patronat helvétique tient à éliminer toute possibilité pour que le salaire soit un objet de débat politique, même lorsqu’il ne s’agit que d’éviter la pauvreté. Dire que cet objectif est atteint par la simple existence d’un salaire minimum ne correspond même pas à la réalité. En effet, dans le canton de Neuchâtel, malgré le salaire minimum, deux bénéficiaires de l’aide sociale sur trois travaillaient en 2023 (1).
.
En dépit de cet état de fait, Roland A. Müller, le président de l’Union patronale suisse par ailleurs avocat et professeur de droit du travail et des assurances sociales à l’Université de Zurich, a vendu la mèche en expliquant que «garantir un revenu vital n’est pas le rôle des employeurs en Suisse (2)» et que l’aide sociale est là en cas de besoin. Cela implique très concrètement que le patronat de ce pays, toujours en guerre contre tout système d’imposition le mettant à contribution à hauteur de ses revenus, considère comme non pertinent que des personnes salariées ne parviennent pas à vivre (plus précisément survivre) de leur travail et qu’il est dès lors «normal» que l’aide sociale subventionne plusieurs secteurs économiques.
Cette offensive est menée au nom de la «défense du partenariat social», ce qui en dit long sur la conception que le patronat et la droite du Parlement fédéral ont du-dit partenariat…
Mener cette bagarre revêt ainsi une importance essentielle pour le mouvement syndical, et ce, d’autant plus dans un contexte où la possibilité de défendre le niveau des salaires contre la sous-enchère est un enjeu déterminant des bilatérales III. ◼

1 https://www.ne.ch/autorites/DECS/S A S O / D o c u m e n t s / 2 0 2 4 1 2 _ R a p -port%20Social_2023.pdf
2 https://www.watson.ch/fr/suisse/politique/680176939-les-propos-de-l-union-patronale-suisse-sur-les-salaires-
choquent

Services publics, 27 juin 2025, Alexandre Martins

0 commentaire à “Ils ne veulent pas nous laisser respirer”


  1. Aucun commentaire

Laisser un commentaire





Bad Behavior has blocked 8364 access attempts in the last 7 days.