Salaires minimaux en danger

Le National confirme l’attaque contre les salaires minimums cantonaux. Dans certaines branches, les revenus pourraient baisser à Genève et à Neuchâtel.
Vif débat au parlement fédéral hier autour du salaire minimum au National. Les élu·es se sont écharpés sur la primauté des conventions collectives de travail national (CCT) de force obligatoire sur le salaire minimum cantonal. Au final, ils et elles ont accepté le projet de mise en œuvre de la motion Ettlin, à 109 voix contre 76 et 7 abstentions. Le projet était plébiscité par une majorité de droite, rejeté par la gauche, les Vert’libéraux et le Conseil fédéral.

Si une CCT nationale prévoit des salaires plus bas qu’un salaire minimal décidé au niveau cantonal, la CCT doit primer, a décidé le Conseil national. Le débat touche particulièrement la Suisse romande, où des salaires minimaux sont soit en cours de réflexion (initiatives populaires dans les cantons de Vaud, Valais, Fribourg), soit en vigueur (Genève, Neuchâtel, Jura). A Genève et Neuchâtel, l’adoption du projet aurait pour conséquence des baisses de revenus dans certaines branches.

Partenariat social sous pression

La droite s’est élevée en grand défenseur du partenariat social. «Les salaires minimaux cantonaux sapent les accords trouvés via les CCT. C’est une atteinte à un système qui fonctionne et le partenariat social se retrouve sous pression» a plaidé l’Argovien Thomas Burgherr (UDC) pour la commission. Il relève que les CCT de force obligatoire protègent également les travailleur·euses détaché·es, contrairement au salaire minimum. Une majorité veut aussi éviter une surcharge bureaucratique pour les entreprises et des «conditions inégales pour les employeurs» en fonction de leur emplacement. «On ne peut pas jouer un double jeu en négociant des CCT qui contiennent des dizaines de dispositions, demander de les rendre obligatoires avant de contourner les règles liées aux salaires dans certains cantons», a défendu le libéral radical Olivier Feller (VD).

Pertes de salaire

Son intervention a donné lieu à des échanges acérés. «Pourquoi voulez-vous que des communes soient forcées de subventionner indirectement des entreprises, via des aides sociales, des réductions de primes d’assurance-maladie versées aux travailleur·euses à qui leur employeur refusent un salaire suffisant ?», a réagi le socialiste David Roth (LU). En réponse, Olivier Feller s’est dit «choqué»: «Vous êtes en train de dire que les salaires négociés par les syndicats sont indécents. Mais pourquoi les avez-vous avalisés? Négociez différemment, soyez plus durs!» a-t-il taclé. La gauche a tenté de défendre en vain le salaire minimum. La socialiste Martine Docourt (NE) a interpellé son collègue PLR sur les conséquences pour les travailleurs et travailleuses neuchâtelois·es qui verront leur salaire diminuer en cas de primauté des CCT sur le salaire minimum.

«Si vous l’adoptez, ce serait la première loi de réduction de salaire dans ce pays depuis 1848» Cédric Wermuth

Les pertes de revenu pourraient atteindre 500 francs par mois, dans la restauration et le nettoyage, voire jusqu’à 1000 francs pour le secteur de la coiffure à Genève, selon les estimations des syndicats. «C’est énorme pour des personnes souvent déjà précarisées, très majoritairement des femmes», a alerté la Verte Sophie Michaud Gigon (VD), en mentionnant le nombre important de familles working poor, qui, sans salaire minimum, doivent recourir à l’aide sociale tout en travaillant à temps plein. «Si vous l’adoptez, ce serait la première loi de réduction de salaire dans ce pays depuis 1848», a ajouté Cédric Wermuth (PS/AG).

Autonomie cantonale

Aux côtés de la gauche, le parti vert libéral a voté à l’unanimité contre la primauté des CCT sur les salaires cantonaux. Le vert libéral Jürg Grossen (BE) s’est inquiété d’un risque de précédent dangereux, qui permettrait à Berne de casser les décisions cantonales dans d’autres domaines. «Je suis entrepreneur, libéral et pas fan des salaires minimaux. Mais je ne suis pas prêt à sacrifier les principes fondamentaux du fédéralisme et de notre démocratie directe. Ce projet de loi met tout cela en danger», a alerté le conseiller national bernois. A l’exception d’Obwald, tous les cantons se sont également opposés au projet.

Le Conseil fédéral n’en voulait pas non plus. Pour le ministre de l’Économie, Guy Parmelin, une telle règle de primauté des CCT ne peut être introduite sans enfreindre la Constitution. «Selon le Tribunal fédéral, les cantons sont compétents pour adopter des mesures de politique sociale en matière de droit du travail. Ils peuvent donc adopter une loi sur le salaire minimum comme mesure de lutte contre la pauvreté. Le projet va à l’encontre de la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons», a-t-il défendu, sans convaincre la majorité. Le projet sera encore débattu au Conseil des États. En cas d’acceptation, un référendum des syndicats est fort probable.

Le Courrier, 17 juin 2025, Sophie Dupont

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