Swissgrid, pilier du réseau européen

Occupant une place centrale en Europe, le gestionnaire suisse du transport de courant fait face à divers défis. Le 8 janvier 2021, quelque chose a mal tourné. Une baisse soudaine de fréquence sur le réseau européen a littéralement scindé le continent: l’Europe du Sud-Est d’un côté, l’Europe centrale et occidentale de l’autre. L’anomalie découlait d’un défaut au sein d’un poste de couplage en Croatie.

Elle a duré une heure. La plupart d’entre nous n’avons rien remarqué, mais l’incident aurait pu priver d’électricité des centaines de millions de ­personnes.

Si un black-out de grande ampleur a pu être évité, c’est aussi grâce à l’intervention de Swissgrid. Cette société exploite le réseau de transport à haute tension en Suisse et assure l’échange d’électricité entre la Confédération et ses voisins. En tant que centre de coordination pour l’Europe du Sud, elle a contribué avec les autres gestionnaires européens à découpler le réseau et à éviter un ­effondrement. «C’est notre travail: anticiper ce qui peut l’être et gérer l’imprévisible en temps réel», explique le porte-parole de Swissgrid, Alessandro ­Cameroni.

Un maillon essentiel

Le réseau électrique suisse est un élément essentiel du réseau européen, qui fournit de l’électricité à plus de 530 millions de personnes dans plus de 30 pays. La Suisse est le pays de naissance du réseau interconnecté. C’est à l’étoile de Laufenburg – un poste de couplage du canton d’Argovie – que les réseaux électriques suisse, allemand et français ont été interconnectés pour la première fois en 1958.

Aujourd’hui, 41 lignes transfrontalières permettent à la Confédération d’exporter de l’électricité en été et surtout d’en importer l’hiver venu, lorsque la production hydroélectrique nationale régresse. Durant les mois les plus froids de l’année, la Suisse fait venir de l’étranger jusqu’à 40% de ses besoins en électricité. «Dans le contexte actuel, le risque d’une pénurie d’électricité n’a jamais été aussi élevé pour la Suisse et l’Europe», indique Valérie Bourdin, porte-parole de l’Association des entreprises électriques suisses.

«C’est notre travail: anticiper ce qui peut l’être et gérer l’imprévisible en temps réel» Alessandro Cameroni

La hausse des prix de l’énergie, la volatilité des sources d’énergie renouvelables et la situation politique posent des défis sans précédent. «Le système électrique suisse connaît le plus grand changement de son ­histoire», assure Alessandro Cameroni.

Recherche d’équilibre

Les câbles du réseau à très haute tension (220 000 et 380 000 volts) transportent le courant produit par les centrales électriques en Suisse et à l’étranger, qu’il provienne de sources renouvelables, des énergies fossiles comme le charbon ou du nucléaire. La tension doit être aussi élevée que possible pour éviter les pertes d’énergie durant le transport. Mais avant d’atteindre les réseaux de distribution régionaux et locaux et, au terme du voyage, les prises de courant domestiques des ménages, la tension doit être réduite graduellement. Cela se produit dans les transformateurs des postes de couplage, où la tension descend jusqu’aux 230 volts qui nous permettent de charger nos téléphones cellulaires ou de faire fonctionner la machine à café.

Pour transporter l’électricité de manière sûre et efficace, la fréquence du réseau européen doit être maintenue à 50 hertz (60 hertz aux États-Unis et dans certaines régions du Japon). Le moindre déséquilibre peut compromettre la stabilité du réseau et mener à son effondrement. C’est ce qui s’est (quasiment) passé le 8 janvier 2021 lorsque la fréquence a flanché de 50 à 49,75 hertz.

Pour que la fréquence demeure constante, la production et la consommation du courant doivent être en parfait équilibre. «Quoi qu’il arrive en Europe, par exemple une surproduction d’électricité dans les parcs éoliens du nord de l’Allemagne, nous devons veiller à ce que la fréquence soit maintenue à 50 hertz», souligne Alessandro Cameroni. Les 50 hertz doivent également être maintenus lorsque de nouveaux pays viennent se greffer sur le réseau européen. La dernière fois que cela s’est produit, c’était au mois de mars, avec l’ajout de l’Ukraine et de la Moldavie.

Protections aux frontières

La synchronisation était prévue depuis un certain temps et devait intervenir en 2023. L’invasion de l’Ukraine par la Russie l’a accélérée. Emanuele Colombo, consultant stratégique chez Swissgrid, explique que des précautions ont été prises «pour éviter que les problèmes qui pourraient survenir en Ukraine ne se propagent de manière incontrôlée en Europe».

La centrale nucléaire de ­Zaporijjia, dans le centre de l’Ukraine, est la plus grande du continent. Sa déconnexion ­soudaine ou une réduction substantielle de sa production d’électricité pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble du réseau interconnecté. «L’écart de fréquence serait si important qu’il a été décidé de mettre en place des protections aux frontières: en cas de problème, l’Ukraine serait immédiatement débranchée», explique ­Emanuele Colombo.

Pour Swissgrid et les autres gestionnaires du réseau de transport en Europe, l’impact le plus important de la guerre en Ukraine est la hausse des prix de l’énergie. Elle a des répercussions sur le coût de l’énergie dite de régulation, que Swissgrid achète sur des plateformes internationales pour faire face aux fluctuations imprévues sur le réseau. En cas de défaillance soudaine d’une centrale, cette réserve peut être injectée en quelques secondes, ce qui permet de compenser le courant manquant et de maintenir la stabilité du réseau.

SWISSINFO, 4 juillet 2022 Luigi Jorio

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