Travailler moins, pour le mieux

Samedi, la Grève pour l’Avenir sera dans la rue pour réclamer une réduction du temps de travail. Cela profiterait à notre bien-être, à la planète et à l’économie, selon une étude. Les activités les moins émettrices de gaz à effet de serre, comme manger local et de saison, prennent du temps. D’où l’intérêt de réduire le temps de travail.

Travailler aurait un impact positif sur l’environnement. Christoph Bader, économiste et Stephanie Moser, psychologiste de l’environnement, ont codirigé une étude sur la réduction du temps de travail. Les chercheurs·euses du centre pour le développement et l’environnement de l’Université de Berne constatent des effets positifs sur la santé, l’environnement, et l’économie. Interview.

Quels problèmes constatez-vous avec l’organisation actuelle du travail?

Christoph Bader : L’une des fonctions premières de l’emploi est de garantir un revenu suffisant pour vivre. Pourtant, les working poor (travailleurs et travailleuses pauvres), sont de plus en plus nombreux. Une autre fonction importante est de financer la sécurité sociale et de rapporter des impôts. Les politiques ont ainsi toujours pour objectif le plein emploi. Dans un contexte de numérisation et d’amélioration des compétences, tendre vers le plein emploi n’est possible qu’avec la croissance économique. Et les données montrent que plus il y a de croissance, plus la destruction de l’environnement est importante. D’autre part, les maladies liées au stress au travail augmentent. En Suisse, le stress professionnel coûte 7.6 milliards de francs aux entreprises, selon le Job Stress Index 2020.

Comment a évolué le temps de travail dans l’histoire ?

Il y a 200 ans, la plupart des gens travaillaient 15 heures par jour. En Suisse, les syndicats ont obtenu la semaine à 44 heures dans les années 50 et 60. La semaine de travail est ensuite passée de six à cinq jours, puis la semaine à 42 heures s’est répandue dans les années 70. Le droit à quatre semaines de vacances a été obtenu en 1984. Mais depuis une trentaine d’année, il n’y a presque plus de réduction du temps de travail. Ce phénomène s’observe dans la plupart des pays européen. En même temps, l’intensité du travail, soit le nombre de tâches effectuées en une journée, a globalement augmenté.

Dans votre étude, vous citez Keynes, qui affirmait que les avancées technologiques et l’amélioration des compétences allaient permettre de diminuer fortement le temps que nous passons au travail. Que s’est-il passé en réalité?

Avant 1980, les bénéfices étaient distribués assez équitablement entre le capital et les travailleurs. Les gains de productivité des entreprises étaient traduits en partie en augmentation de salaire, en partie en diminution du temps de travail. Mais durant les trente dernières années, nous n’avons presque plus observé de réduction du temps de travail et les gains de productivité sont allés majoritairement au capital. Entre 1990 et 2017, la productivité du travail en Suisse a fait un bond de 26% tandis que les salaires réels ont seulement augmenté de 14%. La situation est semblable dans la plupart des pays de l’OCDE. Une des conséquences de ce phénomène est l’accroissement des inégalités. En Suisse, les 10% les plus riches détiennent près de 75% des richesses.

Quels sont les avantages de la réduction du temps de travail?

Au niveau international, on constate que les pays ayant un plus grand nombre d’heures de travail émettent davantage de gaz à effet de serre (GES). Ce phénomène se retrouve au niveau individuel. Les personnes qui travaillent à temps partiel ont des activités moins émettrices de GES. Si leurs revenus ne diminuent pas, une partie des gens vont augmenter leur part de loisirs qui nuisent à l’environnement, mais cet effet n’est pas dominant.

Dans la rue en Suisse romande

Des manifestations et actions auront lieu samedi dans plusieurs villes. A Genève, une manifestation partira de la place Lise-Girardin à 14h. A Lausanne, le cortège s’ébranlera depuis la Riponne à 15h. Et à Neuchâtel, il partira de la place de la gare à 16h.

Une manifestation aura également lieu à Delémont et des activités à la Chaux-de-Fonds et à Vevey. Plus d’infos sur grevepourlavenir.ch

Les activités les moins émettrices prennent du temps. Si vous voulez manger local et de saison, il faut s’informer, prendre le temps d’aller au marché, etc. Réparer soi-même son vélo ou ses appareils ménagers et apprendre à le faire demande également de disposer de suffisamment de temps. Idem pour les voyages à pieds ou en train, ou encore l’engagement dans la société civile. Diminuer le temps de travail ne garantit pas que les gens vont se lancer dans ces activités, mais cela leur offre au moins l’opportunité de le faire. Et surtout, cela permet d’augmenter le bien-être personnel.

Dans quelle mesure cela favorise-t-il l’égalité de genre?

C’est une question âprement débattue. Certaines études affirment que la réduction du temps de travail aurait pour conséquence une implication plus importantes des hommes dans le travail de care (les soins aux autres). D’autres affirment au contraire que la tendance actuelle – qui voit les femmes prendre en charge la majorité du travail non rémunéré – serait encore renforcée. Pour que la réduction du temps de travail ait un effet positif sur l’égalité de genre, il faut qu’elle soit accompagnée de mesures comme un congé parental égalitaire.

En travaillant moins, comment garantir des revenus suffisants pour vivre et des revenus fiscaux? Comment financer les assurances sociales?

Les bas et moyens revenus doivent recevoir une compensation totale de leur salaire. La question du financement de ces compensations reste ouverte. Elle s’est d’ailleurs également posée au moment de la création du filet social. Une solution pourrait venir de l’ajustement du régime des impôts. Aujourd’hui, on taxe beaucoup plus le travail que le capital et les ressources. En taxant le capital, il serait possible de financer la compensation des salaires. Réduire les heures de travail peut avoir pour conséquence de mieux partager les emplois et donc de diminuer le taux de chômage. Les coûts de la santé liés au stress, aux burn-out, devraient aussi diminuer.

Quelles sont vos propositions pour mettre en Å“uvre la diminution du temps de travail?

On estime que cela fonctionnera mieux si les premières étapes viennent des employés et des employeurs eux-mêmes. Le processus politique prend beaucoup de temps. Les entreprises seraient gagnantes aussi. Elles sont de plus en plus nombreuses à avoir de la peine à recruter, et elles ont intérêt à ce que leurs employés soient moins stressés, moins absents pour maladie. On constate que la jeune génération a tendance à ne plus vouloir travailler à 100%. Ces trois ou quatre dernières années, également dans le contexte du Covid, la réduction du temps de travail est de plus en plus devenue un sujet de société. Et des entreprises commencent à introduire volontairement des mesures.

Les syndicats passent à l’offensive

Avec la pression des mouvements sociaux, la réduction du temps de travail est revenue au cœur des préoccupations des syndicats.

Des employé·es de Swisscom demandent plus de temps libre. Dans le cadre des négociations pour la nouvelle convention collective de travail, les 2000 personnes sondées par Syndicom ont pour principales revendications une semaine à 35 heures sans réduction de salaire, deux jours de vacances supplémentaires et une augmentation du congé maternité et du congé paternité. «Les suppressions d’emploi régulières de l’entreprise engendrent un stress et une pression importante sur les employés. En réduisant le nombre d’heures, les maladies et les absences diminuent, l’impact sur la productivité est positif», plaide Dominik Fitze, porte-parole de Syndicom.

Portée par la Grève pour l’Avenir et la Grève féministe, la réduction du temps de travail s’invite de plus en plus dans les discussions sur les CCT. «Jusqu’à maintenant, nous étions dans une position plutôt défensive face à l’économie qui voulait augmenter ou flexibiliser le temps de travail, au détriment des salarié·es. Nous avons pu faire face. Avec les mouvements sociaux, c’est devenu un débat de société, ce qui nous permet de réfléchir à des propositions plus offensives», se réjouit Martine Docourt, responsable du département politique à Unia. La réduction du temps de travail est davantage revendiquée par les travailleurs·euses lors de discussions en vue de renouvellements de CCT. «Avoir du temps pour se déplacer autrement, manger mieux, prendre soin de soi, cela permet de tendre vers une société du care, qui n’est pas basée sur le profit, mais sur le souci des autres et la solidarité», défend Martine Docourt.

Des employeurs publics et privés ont déjà franchi le pas. L’hôpital régional de Wetzikon (ZH), a décidé d’introduire une réduction du temps de travail à 37,8 heures par semaine pour les professions soignantes dès juin prochain, soit une diminution de 10% du temps de travail pour un salaire identique. «Dans aucune branche, le personnel manque autant que dans les soins. Plus de 10 000 postes sont vacants et la tendance augmente. Une partie d’entre eux peuvent être occupés par des travailleurs temporaires. Mais cela coûte plus cher, c’est chronophage et cela impacte négativement la qualité des soins», explique la direction dans un communiqué. En réduisant le temps de travail, elle espère convaincre ses employé·es de rester dans le métier.

Dans un tout autre domaine, Seerow, entreprise informatique basée à Soleure, inaugure la semaine à quatre jours (35 heures) pour un projet pilote de six mois, avec un revenu identique. Celles et ceux qui travaillaient à 80% verront leur salaire augmenter. «Les membres de notre équipe auront plus de temps pour leurs amis, leur famille, leurs loisirs, ou pour apprendre de nouvelles choses. Nous sommes convaincus que cela aura en retour un effet positif sur la productivité et l’innovation», explique l’entreprise.

La question du temps de travail a également rebondi au parlement. Une motion de la conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello demande une réduction de travail à 35 heures par semaines dans un délai de dix ans, avec une compensation salariale intégrale pour les bas et moyens salaires. «En baissant le temps de travail petit à petit, une heure par année, les entreprises ont les moyens d’absorber les coûts. Des solutions devront être trouvées avec les partenaires sociaux», affirme-t-elle. SDT

Penser la ville idéale

Avec 70% de citadins attendus en 2050, les villes sont vitales dans la lutte contre le réchauffement climatique. Le nouveau rapport des experts climat de l’ONU (Giec) publié lundi esquisse le portrait idéal d’une ville «compacte», verte et dans laquelle on se déplace à pied. Les zones urbaines représentent déjà environ 70% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon le rapport. Et avec l’urbanisation galopante dans ce XXIe siècle qui «sera le siècle urbain», avec près de 7 milliards de citadins en 2050, ces émissions pourraient exploser si rien n’est fait pour décarboner les villes existantes et organiser différemment celles qui sortiront de terre.

«Bien que l’urbanisation soit une tendance mondiale souvent associée à l’augmentation des revenus et de la consommation», et donc potentiellement des émissions, «la concentration des gens et des activités est une opportunité pour améliorer l’efficacité des ressources et décarboner à grande échelle», insiste le Giec. Parce qu’à niveau de consommation égal, un habitant des villes requiert moins d’énergie que son voisin des campagnes, «grâce à la plus grande densité qui permet le partage des infrastructures et des services, et des économies d’échelle». Partant de ce principe, le Giec dessine le portrait d’une ville future bas-carbone qui serait d’abord «compacte», c’est-à-dire avec une densité relativement élevée sans s’étaler à l’infini, limitant les trajets entre domicile, travail et services.

«Des grandes villes organisées autour de plus petites communautés», commente Diana Reckien, de l’université néerlandaise de Twente, qui a participé à un rapport précédent du Giec. «Quatre pâtés de maison, avec seulement des petites rues, un marché ou un parc au milieu, et tous les services, alimentation, médecin, coiffeur…», explique-t-elle à l’AFP. Et ensuite, de quartier en quartier «un système de transport efficace» et abordable, plaide-t-elle. Le but ultime: «Limiter au maximum les voitures et réduire la nécessité pour tous les foyers de posséder une voiture».

Couleurs primordiales de cette palette urbaine bas-carbone: le vert et le bleu. Forêts urbaines, arbres dans les rues, toitures et façades végétalisées, surfaces perméables, points d’eau… Ces «infrastructures vertes et bleues» peuvent non seulement aider les villes à absorber du carbone, mais aussi à l’adaptation aux impacts du réchauffement. Plus de végétation permet par exemple de réduire les effets des îlots de chaleur urbains qui rendent les villes bétonnées encore plus suffocantes lors des canicules, qui se multiplient.

«Les villes doivent combiner des efforts d’atténuation et les efforts d’adaptation qui peuvent créer des bénéfices locaux visibles», plaide Tadashi Matsumoto, expert à l’OCDE, pas impliqué dans le rapport. «Si vous parlez seulement aux citoyens de mesures pour réduire les émissions, ils pourraient ne pas voir ça comme une priorité, mais si vous leur parlez inondations ou îlot de chaleur urbain, ça peut devenir leur problème», dit-il à l’AFP. Il est important que les gens «sachent pourquoi les choses sont faites, et comment cela peut améliorer leur vie. D’autant que c’est souvent payé par leurs impôts», poursuit Diana Reckien, qui voit les villes comme un «lieu idéal d’expérimentation».

Mais pour devenir réelles, ces futures villes bas-carbone n’ont pas toutes les mêmes défis à relever, note le rapport du Giec qui distingue trois catégories de zones urbaines. Les «villes établies» devront remplacer ou moderniser le bâti existant, tout en encourageant l’évolution des modes de transports et l’électrification du système énergétique urbain. Les «villes à croissance rapide» devront planifier efficacement pour maintenir de courtes distances entre domicile et travail. Et enfin, les villes nouvelles ou émergentes, en partant de zéro, ont «un potentiel sans égal de devenir bas-carbone ou neutre».

«Une part importante des infrastructures urbaines qui seront en place en 2050 ne sont pas encore construites», insiste le Giec, évoquant le potentiel des zones d’habitations informelles où vivent plus de 880 millions de personnes. Alors il faut le faire bien du premier coup pour éviter d’avoir à tout réaménager plus tard. «La façon dont ces nouvelles villes de demain seront conçues et construites verrouillera les comportements énergétiques urbains pour des décennies, voire des générations».

Quels moyens d’action?

Éviter un voyage en avion, consommer moins de viande, améliorer l’isolation de son logement: les experts du Giec insistent sur le rôle majeur qu’une modification de la demande peut jouer pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

«Si nous opérons les bons choix en matière de politique, d’infrastructures et de technologies, nous pourrons changer nos modes de vie et nos comportements, avec à la clé une diminution de 40 à 70% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050», résume Priyadarshi Shukla, coprésident du groupe de travail ayant élaboré le dernier rapport du Giec, ­publié lundi.

Le rapport base son analyse sur la stratégie «Eviter, changer, améliorer»: éviter des comportements très énergivores, passer à des technologies moins émettrices pour le même service, améliorer l’efficience énergétique des technologies existantes, avec un maître mot, «sobriété».

Dans la catégorie «éviter», le potentiel le plus important vient de la réduction des vols long-courriers. Baisser leur nombre et préférer le train quand c’est possible pourrait diminuer de 10 à 40% les émissions de l’aviation d’ici à 2040, selon le rapport. Dans «changer», le plus efficace serait de passer à un régime alimentaire basé sur les végétaux. Le renforcement de l’efficience énergétique des bâtiments remporte la première place pour «améliorer».

De manière générale, les options concernant les choix de mobilité sont plus efficaces, par exemple changer sa voiture thermique pour une tout électrique (améliorer), prendre un vol long-courrier de moins par an (éviter) ou passer au vélo et à la marche (changer) dans ses déplacements quotidiens. Devenir végétarien ou même végétalien réduirait moins les émissions que d’éviter un vol long-courrier par an. Le rapport souligne également la nécessité de réduire tous les types de gaspillage.

«Choisir des options de vie bas carbone, peut réduire l’empreinte carbone d’un individu jusqu’à 9 tonnes d’équivalent CO2» par an, évalue le Giec. Mais l’empreinte carbone annuelle de certains humains est bien inférieure à ces 9 tonnes évoquées. Par exemple, l’empreinte carbone moyenne par habitant en Afghanistan n’atteint même pas 1 tonne, quand celle d’un Français atteint un peu plus de 10 tonnes.

Riches et pauvres ne sont pas égaux face à des choix que certains n’ont pas. La moitié la plus pauvre de la population mondiale est responsable «seulement d’environ 10%» des émissions liées à la consommation, alors qu’environ 50% de ces émissions peuvent être attribuées aux 10% les plus riches, dont l’empreinte carbone est 175 fois plus importante que les 10% les plus pauvres», note le Giec. ATS/AFP

Le Courrier, 7 avril 2022, Sophie Dupont

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