Boîte de Pandore des paradis fiscaux

Cinq ans après les Panama Papers, une nouvelle investigation journalistique souligne que l’utilisation de sociétés écrans est toujours étendue. Les Pandora Papers sont une nouvelle pierre dans le jardin des paradis fiscaux. Les associations de la société civile avancent leur programme de changement.

Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a eu accès à des données de 29’000 sociétés fictives logées dans des paradis fiscaux tels que le Panama ou les îles Vierges britanniques. Ceci suite à des fuites de documents commerciaux provenant de 14 cabinets d’avocats, en connexion avec leurs coreligionnaires en Suisse, aux États-Unis et en Europe. Les associations de la société civile demandent des mesures immédiates.

DSK en première ligne

Elles sont inconnues du grand public ou du simple quidam, et ont pour noms Alcogal, qui possède des bureaux dans une douzaine de pays, Trident Trust ou SFM. Cette dernière est en charge notamment des sociétés de gestion de Dominique Strauss-Kahn, ancien président du FMI. Mais aussi Asiaciti Trust à Singapour, All About Offshore (AABOL) basée aux Seychelles, Demetrios A Demetriades LLC de Chypre et DadLaw de Malte, les seules basées en Europe. Ces sociétés, bardées d’avocats, permettent aux plus riches de cacher leur argent, en créant des sociétés fictives avec des prête-noms.

Parmi les nombreux client.es de ces discrètes officines, on trouve plus de 300 hommes politiques de 90 pays, trois présidents en exercice parmi lesquels Imran Khan, supposé «héros de la lutte anti-corruption» à la tête du Pakistan depuis 2018. Mais aussi onze présidents à la retraite, des congrégations religieuses et artistes de renommée mondiale, dont Elton John, Shakira, Ringo Starr et des milliardaires, selon l’ICIJ. Alors que les «Panama Papers» (2016) provenaient des dossiers d’un seul prestataire de services offshore, soit le cabinet d’avocats panaméens Mossack Fonseca, les «Pandora Papers» élargissent le focus sur cette industrie offshore.

Avocats et fiduciaires helvétiques

Au total, l’enquête révèle des vrais propriétaires sous paravent originaires de plus de 200 pays et territoires, les plus gros contingents provenant de Russie, du Royaume-Uni, d’Argentine et de Chine. Elle montre aussi que des avocats, fiduciaires et consultants suisses, non soumis à la Loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent (LAB), ont particulièrement bien œuvré dans ce cadre. Selon une journaliste de l’ICIJ, Scilla Alecci, au moins 26 cabinets suisses auraient été impliqués dans ces pratiques entre 2005 à 2016, soit 90 conseillers dans des cabinets d’avocats, notaires et consultants.

«En 2020, les conseillers ont soumis une infime partie – à peine 2% – des plus de 5300 déclarations d’activités suspectes déposées dans le pays. Ces rapports sont souvent la première étape pour identifier les crimes financiers», explique la journaliste. Elle se penche particulièrement sur un cas particulier, celui du Fidinam.«Le groupe (dont le président d’honneur est Tito Tettamanti, politicien du Centre, avocat et capitaine de presse, ndlr) a collaboré depuis le début des années 2000 avec un cabinet d’avocats panaméens (Alcogal, ndlr) pour créer plus de 7000 sociétés écrans pour des clients», explique-t-elle encore.

«La société de conseil Fidinam compte de nombreux clients qui gagnent leur argent en émettant du CO2. Parmi ceux-ci, citons le défunt dirigeant autoritaire de Bahreïn, dont l’activité économique est encore principalement orientée vers l’extraction de pétrole et de gaz ou à un ancien dirigeant de Petrobras, la gigantesque compagnie pétrolière parapublique brésilienne», précise encore la Grève du climat dans un communiqué. Alcogal a aussi aidé les membres de la famille Aliyev, président de l’Azerbaïdjan, grand producteur de pétrole avec la société Socar.

«La Suisse joue un rôle central dans le financement et le soutien de la destruction du climat» aux yeux de la Grève du climat. «Nous exigeons la fin immédiate de cette pratique d’évasion fiscale et d’enrichissement secret. Toutes les personnes et entreprises suisses impliquées doivent être tenues pour responsables. Seule l’exploitation sans scrupule de pays entiers et de leurs ressources naturelles permet de financer cette destruction du climat», estime Anna Lindermeier, membre de l’association, qui demande une enquête plus approfondie et «la fin immédiate de cette sale pratique».

Impunité suspecte

Reste que les avocats d’affaires n’en démordent pas et se considèrent dans leur bon droit. Après avoir fait capoter en décembre un renforcement de la LAB, la profession estime que son activité de conseil et d’optimisation fiscale est parfaitement légale, tant qu’elle n’occasionne pas de fraude fiscale.

Pour l’association Public Eye, cette distinction s’avère plus que byzantine. Elle demande au Conseil fédéral et tout particulièrement au ministre des Finances Ueli Maurer de combler les lacunes législatives qui permettent de telles pratiques. Ceci en instaurant des obligations de diligence raisonnable aux conseillers de sociétés écrans en Suisse. Une action symbolique pour «corrompre» le ministre UDC et lui envoyer une valise pleine de faux billets en guise de pot-de-vin, qui a recueilli plus de 10’000 signatures, est en cours.

La divulgation de ces manœuvres offshore consterne aussi l’association Attac. Qui lutte depuis 1998 pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières. Elle rappelle que la fraude aux prélèvements obligatoires, soit ce qui manque tous les ans aux recettes publiques, serait comprise entre 860 et 1000 milliards d’euros dans l’Union européenne et à plus de 100 milliards d’euros en France. Elle demande la fin de la politique des petits pas.

Avec des propositions tous azimuts. Ainsi la création d’un cadastre financier mondial, une véritable transparence fiscale (notamment avec le reporting public pays par pays), une sanction efficace de la fraude, c’est-à-dire des fraudeurs et de leurs complices. Sans oublier une véritable protection des lanceurs d’alerte. Ou encore le renforcement des moyens législatifs, techniques et humains des services spécialisés (notamment ceux des administrations fiscales et douanières ou encore de la justice) et de la coopération internationale.
Pas en reste, l’association Transparency international, basée à Berlin, exige des «réformes profondes». «Ce coup d’œil sans précédent dans le monde souterrain de l’industrie offshore doit créer un nouvel élan pour mettre fin à l’abus des sociétés anonymes qui dure depuis des décennies. Personne ne devrait pouvoir se cacher derrière des sociétés qui n’existent que sur le papier, ne serait-ce que dans une seule juridiction», souligne l’association. Elle demande aussi que les obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et les sanctions soient étendues aux intermédiaires du secteur privé tels que les prestataires de services aux entreprises, et que les autorités de surveillance soient bien équipées pour les contrôler.

Action Public Eye: https://www.publiceye.ch/fr/action/vingt-millions-pour-corrompre-ueli-maurer
Sur l’exemple tunisien: www.inkyfada.com/fr/

Gauchebdo, 8 octobre 2021, par Joel Depommier

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