Le passeport électronique, une affaire d’État

Peut-on confier à des entreprises privées la gestion de la nouvelle identité électronique? La protection des données et le coût de l’opération préoccupent les opposants à la loi soumise au référendum.


Pour contracter un abonnement de téléphone ou demander un extrait de casier judiciaire, il faut prouver qui on est. Au guichet, rien de plus simple: on montre simplement sa carte d’identité. En ligne, c’est plus compliqué, d’où l’utilité de disposer d’un certificat d’identité électronique, ou e-ID, vérifié par l’État.

C’est précisément le but de la Loi fédérale sur les services d’identification électronique approuvée en 2019 par le Parlement. En faisant valider, par une instance officielle un ensemble de données personnelles (nom, prénom, date de naissance notamment), on pourra utiliser cette clé individuelle pour prouver son identité en ligne.

Personne ne s’oppose à la démarche sur le principe, mais sa mise en œuvre suscite des interrogations. Un comité référendaire, soutenu par la gauche et les écologistes, a donc lancé, avec succès, un référendum qui sera soumis en votation le 7 mars prochain. La loi prévoit de déléguer l’émission de cette carte d’identité à des acteurs privés (lire encadré). En d’autres mots, on confiera les clés du bureau des passeports, qui est un devoir fondamental de l’Etat, à un groupe composé de grandes banques, d’assurances et de sociétés parapubliques (lire aussi «L’e-passeport créé la polémique»).

Le groupe SwissSign, à l’origine du sésame Swiss ID, qui est déjà utilisé par 1,5 million de personnes en Suisse, parmi lesquels les clients de La Poste en ligne, est favori pour assumer cette tâche. Pour le comité référendaire, deux points sont particulièrement problématiques.

À Quel prix?

La Swiss ID est actuellement gratuite, mais il est difficile de croire que des organismes à but lucratif accomplissent une mission aussi pointue sans trouver leur compte. La loi précise que l’identification électronique devra être «abordable», sans autre précision. En comparaison, les autorités ont l’interdiction de dégager des bénéfices en émettant la carte d’identité et le passeport: le Surveillant des prix veille au grain.

«Il n’y pas de risque que Swiss ID devienne payante, rassure Selma Frasa-Odok, porte-parole de SwissSign. Une-ID officielle devrait être quasiment gratuite.» A une nuance près: «Selon le degré de sécurité exigé, il n’est pas absolument garanti que ce soit possible.»

Quel intérêt les prestataires peuvent-il tirer de l’opération s’ils ne facturent rien? Swiss life explique que le développement des identités digitales est profitable à toutes les entreprises qui adhéreront au système. La CSS assure, de son côté, que de nombreuses sociétés visent à promouvoir le passage au numérique et à renoncer définitivement au papier. Pour UBS, il s’agit de renforcer le rôle de la Suisse comme pôle de l’innovation.

Les données valent de l’or

Dans le monde numérique, les bénéfices ne se monnaient pas seulement en argent comptant, mais aussi en données. Le succès économique de Facebook et autres Google qui restent gratuits, mais exploitent les données des utilisateurs, en sont la preuve.

La nouvelle loi prévoit que le passeport électronique affichera, selon le niveau de sécurité, nom, date et lieu de naissance, sexe, numéro AVS, nationalité, le tout illustré d’une photo. Autant de données validées par l’Office fédéral de la police, mais confiées ensuite à des privés.

Daniel Graf, membre du comité référendaire, ne craint pas que les sociétés du groupe SwissSign aient accès à des données sensibles. «Il est cependant problématique que des sociétés imposent à leurs clients de créer une e-ID.» De là à associer ces données au profil personnel des clients et à les exploiter à des fins publicitaires, il n’y a qu’un pas. Que Facebook a du reste déjà allégrement franchi.

Michael Soukup / chr, Bon à savoir N° 2, février 2021

Le passeport du futur aux mains du privé

Le consortium SwissSign Group regroupe les banques cantonales de Genève, Lucerne et Zurich, Raiffeisen Suisse, Credit Suisse, Entris Banking, Six Group, UBS, les assurances Axa, Bâloise, CSS, Helvetia, la Mobilière, Swiss Life, Swica, Vaudoise, Zurich, sans oublier les CFF, La Poste et Swisscom.

2 commentaires à “Le passeport électronique, une affaire d’État”


  1. 1 Elisabeth Brindesi 17 fév 2021 à 7:09

    A l’ère de l’ultralibéralisme, il est certain - et c’est rare que je dise “certain”- que nos nouvelles identités électroniques, laissées entre les mains des privés, deviendront vite une intéressante source de profits. Sinon, pourquoi les privés se chargeraient - ils de cette mission? Par patriotisme? 😊.
    De plus, des passeports - électronique ou autre, gérés par des privés, dont des banques et autre concentrations de frics, deviendront des groupes de pression, suisses ou étrangers. Le risque politique est très présent. dsds

  2. 2 Elisabeth Brindesi 17 fév 2021 à 7:15

    Enfin confier un passeport, électronique ou autre, à des banques, des assurances et j’en passe, c’est humiliant pour les citoyens et citoyennes que nous sommes. Un passeport est malgré tout un signe d’identité, un signe d’appartenance à une communauté politique, la Suisse, dans le cas présent. Je refuse d’être définie en tant que cliente d’une banque, d’une assurance ou de la poste, qui en outre s’éloigne chaque jour d’avantage de son devoir de Service Public. Alors que le gouvernement aille au diable avec ses combines de privatisations.



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