Résister à un virage autoritaire

Fin septembre, le Parlement a adopté la Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme. Une coalition a lancé le référendum. Questions à Pauline Schneider, vice-présidente de la Jeunesse socialiste suisse

Les Jeunes Verts, la Jeunesse socialiste, les Jeunes Vert’libéraux et le Parti pirate ont lancé le référendum contre la loi sur le terrorisme. Pourquoi?
Pauline Schneider – Nous nous battons bien sûr contre toute forme de terrorisme.Mais en parallèle, nous devons garantir le respect des droits fondamentaux pour toutes et tous, ainsi que l’accès à des procès équitables – avec notamment la possibilité d’être défendu-e, écouté-e et protégé-e.
Or la loi sur le terrorisme ne résout aucun problème. Au contraire, elle bafoue les droits humains et pourrait entraîner de nombreuses erreurs judiciaires. Comment? Ce texte a pour but de fournir à la police davantage de mesures contre les personnes potentiellement dangereuses, de manière préventive, donc en dehors de la procédure pénale.
Concrètement, la loi permettra à l’Office fédéral de la police (fedpol) de mettre en œuvre un large éventail de mesures répressives – obligation de se présenter et de participer à des entretiens, interdiction de contact, interdiction géographique, interdiction de quitter le territoire, surveillance électronique et localisation par téléphonie mobile, interdiction de se rendre dans un pays et assignation à résidence. Tout cela sur la base de simples soupçons et sans les garanties propres à toute procédure pénale.L’absence de contrôle judiciaire sur des mesures limitant drastiquement les liber-tés, le fait que cette loi puisse concerner des enfants. Tout cela la rend plus dangereuse que protectrice. Cette loi va ainsi à l’encontre de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) et de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant.
Une large coalition d’ONG avait pourtant dénoncé ces dangers lors de la procédure de consultation. Cela n’a pas été pris en compte par la conseillère fédérale en charge du dossier, Karin Keller-Sutter – ni par une majorité de parlementaires.Punir les gens sur la base de simples soupçons doit être refusé. En lançant le référendum, nous voulons éviter l’arbitraire des décisions policières qui ont déjà prouvé plus d’une fois leurs biais sexistes, homophobes et racistes.
Il est inimaginable que la Suisse, qui se targue d’être un modèle en matière de droits humains, prenne un tel virage autoritaire.

Quelles sont les mesures qui posent le plus problème?
L’instrument le plus radical prévu par la loi est clairement l’assignation à résidence, qui constitue une privation de liberté – et ce, à titre préventif. Cette mesure devra être approuvée par un tribunal. Mais la personne condamnée ne jouira pas des droits usuels des personnes inculpées. Et aucun contrôle judiciaire ultérieur ne sera possible. Or, selon la CEDH, une privation de liber-té ordonnée par la police et sans lien avec une infraction concrète est illégale. Les mesures d’interdiction de contact, de surveillance, d’interdiction de quitter le territoire et d’obligation de se présenter, prononcées en-dehors de toute procédure judiciaire, représentent aussi des entorses aux droits fondamentaux des personnes concernées. Des mineur-e-s pourront-ils ou elles être visé-e-s par ces mesures?La quasi-totalité des mesures répressives pourront être appliquées aux mineur-e-s dès 12 ans. Les assignations à résidence, dès 15 ans. Cette loi s’inscrit en porte-à-faux avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Selon cette dernière, le système judiciaire suisse doit promouvoir la réinsertion sociale des enfants. Les mesures policières prévues en-traîneront au contraire la stigmatisation, voire la criminalisation, des jeunes sans qu’ils/elles aient été coupables d’une in-fraction pénale. Elle viole aussi l’article 11 de la Constitution fédérale, selon lequel les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité et à l’encouragement de leur développement. L’assignation préventive à une propriété et l’interdiction préventive de contacts sont opposées à ce droit fondamental. La contradiction est d’autant plus flagrante que, dans le cadre des mesures de police, les mineur-e-s n’ont pas droit à une assistance juridique particulière.Notre référendum a donc aussi pour objectif de défendre les droits fondamentaux des enfants.Comment et jusqu’à quand signer le référendum?Il peut être signé en ligne, sur le site du comité de soutien: detentions-arbi-traires-non.ch. Les feuilles peuvent être imprimées. Une fois remplies, il faut les renvoyer à l’adresse indiquée avant le 14 janvier 2021, date de la fin du délai référendaire.

UN MODÈLE POUR LES DICTATURES ?
Dans son message, le Conseil fédéral évoque la menace du terrorisme islamique (Al Quaida, groupe Etat islamique, etc.). Pourtant, la loi ne donne pas de définition précise d’une «activité terroriste»…
Au centre de la loi, on trouve la notion très imprécise de «terroriste potentiel» – basée non pas sur une infraction pénale, mais des «indices».
Le texte définit les «activité terroristes» comme étant les «actions destinées à influencer ou à modifier l’ordre étatique et susceptibles d’être réalisées ou favorisées par la propagation de la crainte». Un tel flou rend difficile de savoir qui pourra réellement être soupçonné – et donc potentiellement puni.
Avec une définition aussi large, des actions politiques pourraient être taxées d’activités terroristes, même si elles ne sont pas menaçantes ou violentes.
L’interprétation de ces notions, qui devrait être le fait du pouvoir judiciaire, incombera à la fedpol. Tout cela ouvre la porte à l’arbitraire et aux abus policiers.
Le danger de cette situation a été souligné par les experts en matière de droits humains de l’ONU. Dans une lettre ouverte publiée en septembre dernier, ils soulignent que la définition particulièrement floue de «l’activité terroriste» pourrait menacer les activités de journalistes, de la société civile ou de militant-e-s politiques.
Les expert-e-s critiquent ainsi un «dangereux précédent», qui pourrait devenir un modèle pour des gouvernements autoritaires visant à supprimer toute opposition politique.

18 décembre 2020 . services PUBLICS

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