Les vrais héros Suisses

Un véritable drame s’est déroulé dans notre pays. Tidjane Thiam, l’ancien patron du Crédit Suisse, a vu sa rémunération fondre de près de 15% l’année dernière, n’amassant « que » 10 millions de francs en 2019. Pire, les douze membres de la direction générale de Crédit Suisse ont seulement gagné un total de 77,4 millions de francs, contre 93,5 millions un an auparavant. C’est la crise, rien ne va plus, la Suisse est au plus mal.

Les directeurs généraux des principales sociétés cotées à la Bourse suisse ont perçu en 2019 des rémunérations moyennes stables sur un an, autour de 6,3 millions de francs. Heureusement, l’ATS nous assure que « quatorze des vingt-cinq dirigeants ont bénéficié de rétributions plus élevées. La valorisation des rémunérations versées sous forme d’actions complique les comparaisons. Severin Schwan, à la tête de Roche, a détrôné Sergio Ermotti en tête du classement, avec plus de 15 millions de francs, salaire fixe et bonus compris. » Ouf. L’honneur est sauf.
Comment? Attendez, on me dit dans l’oreillette que le salaire d’une infirmière diplômée de niveau 1 est de 5295,70 francs par mois. Pardon? Ah, on me raconte aussi que le Conseil fédéral vient de tout casser dans la régulation qui les concerne, eux qui sont tous les jours en première ligne pour nous sauver des vies: la vôtre, la mienne, celles de nos parents, grands-parents, proches, amis, compatriotes. Le tout avec des moyens dérisoires par rapport à ce qui est en train de se produire à l’échelle mondiale. C’est quoi soixante heures par semaine de travail, quand on a deux enfants à la maison, qu’il faut faire les courses et leur préparer à manger?

Un mort et je commence à réfléchir

La fameuse «jurisprudence du rond-point» est en train de se produire au sein de notre personnel médical adoré. Il faut attendre qu’il y ait des morts pour y changer quelque chose. Et là, comme il y a beaucoup de décès, on commence à paniquer et on promet monts et merveilles, mais le problème reste entier aujourd’hui (et depuis des années): le personnel hospitalier, au front depuis le début de l’épidémie du coronavirus, est sous-payé, surexploité, malgré son statut de héros.
En Suisse et dans le monde occidental dans son ensemble, il a fallu une crise sans précédent pour comprendre qui est le pilier de notre petit monde bien confortable: les petits salaires. Pendant que les pontes peuvent rester au chaud à la maison et télé-travailler tout en commandant du papier-toilette sur les plateformes en ligne, les vraies personnes indispensables à la bonne marche de la vie quotidienne risquent leur vie, oui, leur vie, à en sauver d’autres ou à vous vendre des paquets de pâtes à la caisse de la Migros. Tout ça pour un revenu ridicule et des conditions de travail indignes du niveau sécuritaire. Étonnant retour de bâton, non?

Des applaudissements, et après?

Depuis le début de cette crise, on se donne bonne conscience en applaudissant à la fenêtre, en découvrant enfin qui sont les vrais héros de 2020. Mais croyez-vous vraiment qu’en 2019, ces gens-là étaient moins méritants? Portons-les aux nues tous les soirs à 21 heures, c’est très bien. Ça peut leur redonner un coup de motivation bienvenu en fin de journée, après avoir passé seize heures d’affilée à intuber des gens dont quasiment la moitié passera l’arme à gauche à cause de ce satané virus. Mais n’oublions jamais. Ne faisons pas comme nous avons appris à le faire à l’heure des réseaux sociaux et de la futilité érigée en religion. N’oublions jamais à qui nous devons le fait de n’avoir qu’à #resteràlamaison pour faire notre part de lutte contre le Covid-19.
Pendant que nous pestons contre les politiques qui nous donnent trop d’ordres ou pas assez, tout ce petit monde n’a pas d’autre choix que d’aller lutter contre la mort. Au combat, du matin au soir, contre un ennemi invisible. Toutes ces belles personnes sont obligées d’aller travailler pour sauver un bout de notre économie alors qu’elles peuvent à chaque fin de journée ramener à la maison une maladie potentiellement mortelle. Quand il sera l’heure de tirer le bilan et de prendre des décisions et des mesures fortes pour que cela n’arrive plus, il faudra être reconnaissant – pour toujours – à ces métiers qui sont le socle de notre société.
Cela passera par les urnes, peut-être, par des choix osés des politiciens aujourd’hui en place, certainement. Mais ce sera aussi par vous, moi, tout un chacun de continuer à avoir une reconnaissance éternelle pour le corps médical, infirmier, les petites mains, les travailleurs sociaux, la police, les militaires… tous ceux qui sont dehors pour nous. J’adorerais les prendre tout de suite dans mes bras, les enlacer, leur dire chaleureusement merci. Ça attendra. D’ici là, je continuerai à applaudir, chaque soir à 21 heures, tous ces héros qui luttent, avec force et courage, contre ce maudit virus. Ne lâchez rien, on est tous avec vous!

Journal d’Ouchy, Tribune libre de Marc-Olivier Reymond, 8.04.2020

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