Sous la coupe de la LAMal

Douze ans après la révision de la Loi sur l’assurance-maladie, l’Office fédéral de la santé publique présente un bilan plutôt positif de ses effets. Alors que sur le terrain, les hôpitaux sont soumis à une privatisation accélérée – et délétère.

En 2007, les Chambres fédérales ont accepté une révision de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal). Celle-ci a introduit un nouveau mode de financement des hôpitaux. Concurrence, privatisations, externalisations: les effets de cette modification de loi n’ont pas tardé. Et le secteur hospitalier a pris un virage serré vers une gestion marchande des soins.

L’essor des cliniques

La révision de 2007 reposait sur deux axes simples. Premièrement, les hôpitaux privés ont obtenu une (belle) part du gâteau, puisqu’ils sont désormais financés, pour une partie de leurs activités, par nos primes et impôts, au même titre que les hôpitaux publics. Et cela, sans la moindre obligation de respecter les salaires conventionnels ou réglementaires du secteur, ni de prendre en charge les cas lourds et «non rentables ». Joli cadeau.

Deuxièmement, les soins hospitaliers sont financés selon des forfaits par cas, une technique qui vise à mettre les hôpitaux en concurrence: les opérations rentables sont facilement identifiables; et les patient-e-s qui ne rapportent pas sont encore plus faciles à tracer.

L’hôpital-entreprise

À la suite de cette révision, l’hôpital s’est mis à fonctionner comme une entreprise qui doit dégager des bénéfices. Conséquence: la rentabilité financière prend le dessus, la mission d’un service public, accessible à toutes et tous, s’éloigne. Exemple: cet été, les divisions de pédiatrie des principaux hôpitaux publics de Suisse ont tiré la sonnette d’alarme. Elles manquent de financement: les HUG ont affiché 18 millions de « perte » en ambulatoire pour 2018, 12 millions de manque-à-gagner en stationnaire pour la même année; au CHUV, on évoque une « sous couverture » allant de 10 à 30 % (1). L’une des principales difficultés des unités de soins ­intensifs ­pédiatriques – et de la médecine pédiatrique en général – est leur sous-financement, peut-on aussi lire dans un récent numéro du bulletin des médecins suisses (2). Aberrant et préoccupant.

Le regard de l’OFSP

Dans ce contexte, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a observé l’évolution de quelques indicateurs de 2012 à 2016; il vient de publier un rapport condensant les résultats de trois études larges (3).

L’OFSP constate d’abord « l’absence de définition, de saisie et d’évaluation uniformes des prestations d’intérêt général et des investissements directs des cantons dans le se secteur hospitalier ». Il est ici question des fameuses Prestations d’intérêt général (PIG). Autrefois, on les appelait des « subventions »; elles ont survécu à la révision de la LAMal. Pour les théoriciens néolibéraux, ce financement est totalement inacceptable, car les hôpitaux ne devraient pas bénéficier d’aides de l’État. Quoique… Sans état d’âme, le secteur privé réclame lui aussi « sa » part des PIG, au nom de l’égalité de traitement. Une « égalité » qui ne s’étend pas aux conditions de travail: le privé refusant de respecter CCT ou lois cantonales, mais aussi de plafonner les salaires des médecins !

L’essor des cliniques

Quelques chiffres éclairent l’ampleur de la privatisation en cours. En 2010, le Conseil fédéral annonçait dans son message que la révision LAMal avait pour objectif de diminuer le nombre d’hôpitaux. Ce but a été atteint pour les établissements publics et parapublics, dont le nombre a baissé de 44% - 203 hôpitaux publics ou subventionnés en 2006, 112 en 2017. En revanche, le nombre de cliniques privées a augmenté de 27% : 130 établissements privés en 2006, contre 165 en 2017 ! La privatisation se fait à grands pas (4).

Et la Qualité ?

L’OFSP rappelle que, lors de l’introduction de ce système, certains acteurs – le SSP en tête – avaient annoncé une baisse de la qualité des soins. Selon les études citées par l’OFSP, ce pronostic serait erroné. L’office reconnaît cependant qu’il n’existe qu’un petit nombre d’indicateurs permettant de mesure cette qualité. Il en cite un: le taux de mortalité à 30 jours dans l’hôpital, qui est en baisse. Mais est-ce qu’un taux de mortalité mesuré uniquement à l’hôpital est suffisant ?

L’OFSP admet que les ré-hospitalisations évitables sont en hausse depuis 2016. Or, le raccourcissement de la durée des séjours hospitaliers, souvent dénoncée par le personnel, entraîne justement des allers-retours superflus entre établissement hospitalier et lieu de vie, voire l’EMS. L’OFS l’admet d’ailleurs du bout des lèvres: « On ne peut exclure que des séjours plus brefs en soins somatiques aigus entraînent des sorties prématurées et que les lacunes de qualité déjà existantes soient parfois accentuées, surtout au moment du transfert vers les institutions intervenant après de telles hospitalisations ». En d’autres termes, la situation ne semble pas s’être détériorée à l’hôpital mais on ne sait pas vraiment ce qui se passe en aval, en particulier dans les homes et les soins à domicile.

Et nos chères primes ?

Selon la théorie libérale, la concurrence permettrait de baisser les coûts. On nous avait donc vendu la révision LAMal en promettant une stabilisation de nos primes d’assurance maladie – qui n’a pas eu lieu. L’OFSP tente d’expliquer ce paradoxe: « La croissance des coûts n’a pas pu être freinée en dehors du secteur hospitalier stationnaire. Une des raisons réside dans le fait que la révision se concentre en effet sur le domaine des prestations hospitalières stationnaires (…) » Cette affirmation est correcte: la révision n’a pas eu d’impact sur le secteur ambulatoire, ni sur les homes et soins à domicile. Une partie des activités de l’hospitalier stationnaire a ainsi été déplacée vers d’autres secteurs… où les coûts ont augmenté. Comme nos primes.

Cela montre qu’on ne peut pas laisser les caisses maladie et leurs représentant-e-s au Parlement jouer au Monopoly avec les milliards de nos primes !

Pressions multiples sur le personnel

L’OFSP constate que la réduction du nombre d’hôpitaux, espérée par le Conseil fédéral, n’a pas eu lieu (lire ci-contre). Cependant, l’office fédéral estime que les hôpitaux de soins aigus ressentent une pression financière croissante en raison des forfaits par cas.

À ce propos, il écrit que « aucun indice solide ne suggère que les hôpitaux procèdent à des réductions de personnel afin de compenser la pression financière accrue. Cependant, les données disponibles à ce propos restent limitées. En outre, des sondages montrent une augmentation de la charge de travail assumée par le personnel »

Or, l’intensification du travail hospitalier – due entre autres au raccourcissement des durées d’hospitalisation – peut aisément être documentée. Partout, on assiste à une claire augmentation du travail administratif, souvent présentée comme une manière d’améliorer la qualité.

Tout acte doit être désormais noté et retraçable. Est-ce vraiment pour des questions de qualité, ou plutôt pour justifier les factures auprès des assureurs ? Cette obligation de tout noter est aussi un outil de l’employeur pour contrôler le temps de travail et traquer les temps morts.

Les conditions de travail sont aussi mises sous pression à d’autres niveaux, négligés par l’OFSP: tentatives de sortir le personnel des lois cantonales, révision à la baisse des Conventions collectives de travail, externalisation de certains services (nettoyage, restauration). Selon une récente enquête de l’OFS, le stress au travail a fait un bond notable dans le secteur de la santé (5).

Que font les directions hospitalières ? Fait nouveau, elles se concertent. Mais pas pour protéger leur personnel. Bien au contraire. Tout récemment, le SECO a enfin précisé que le moment nécessaire à enfiler et enlever sa blouse compte comme du temps de travail. La nouvelle a mis en émoi toutes les directions des ressources humaines. Celles-ci tentent à tout prix de contourner leurs obligations, y compris en menaçant de supprimer la pause-café. À les entendre, ces quelques minutes pourraient couler tous les budgets – comme si ceux-ci ne dépendaient pas, principalement, des négociations tarifaires avec les assureurs et de la désastreuse révision LAMal de 2007.

(1) 24 Heures, 12 août 2019.
(2) https://bullmed.ch/article/doi/saez.2019.18104/
(3) OFSP: Évaluation de la révision de la LAMal dans le domaine du financement hospitalier. 25 juin 2019
(4) Ces chiffres montrent des tendances assez claires: les statuts de hôpitaux varient au fil des ans et on ne peut plus dire aujourd’hui que les établissements subventionnés sont publics ou parapublics.
(5) OFS: Enquête suisse sur la santé 2017: travail et santé. Août 2019

Services publics, Beatriz Rosende, secrétaire centrale, photo Valdemar Verissimo

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