Tout le pouvoir aux caisses maladie ?

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) propose de modifier la Loi sur l’assurance maladie (LAMal). Son objectif: renforcer le poids des assureurs. Les caisses maladie applaudissent l’initiative parlementaire de la CSSS-N, intitulée «financement moniste des prestations de soins».


De quoi s’agit-il? Actuellement, les soins stationnaires (hospitalisations) sont pris en charge par les cantons et les caisses maladie. Les patients participent aussi par le biais de la quote-part, de la franchise et de la contribution aux frais de séjour.

CANTONS À LA CAISSE - Les soins ambulatoires (qui ne nécessitent pas d’hospitalisation) sont pris en charge par les caissesmaladie principalement, avec le même système de participation individuelle des patients. L’idée défendue par la CSSS-N: faire participer les cantons au financement des soins en ambulatoire. Toutes les prestations sont concernées, à l’exception des soins dits de longue durée (EMS et soins à domicile), non intégrés dans le projet.
On entend souvent dire que l’augmentation des primes d’assurance maladie est due au transfert d’une partie des soins de l’hospitalier vers le secteur ambulatoire, financé uniquement par les caisses maladie, ce qui pousserait les primes vers le haut. Constat un peu rapide. D’abord, les primes ont augmenté avant le «virage ambulatoire». Et rien ne garantit que la participation des cantons ait un effet sur nos primes, souligne le rapport de la CSSS-N.

ZÉRO EFFET SUR LES PRIMES - Aujourd’hui, les plus pauvres consacrent jusqu’à 20% de leur salaire aux primes d’assurance maladie (les riches sont bien mieux lotis, lire en page 11). Cette réalité pousse de nombreuses personnes à se priver de soins. On aurait pu imaginer que la CSSS-N accorde une attention particulière à la nécessaire réduction des primes pour les familles modestes. Ce n’est pas le cas. Le rapport indique que «les primes des jeunes adultes diminueront légèrement avec l’introduction du financement uniforme, celles des autres adultes augmenteront légèrement». Plus loin: «on peut donc s’attendre à ce que, dans les faits, il n’y ait aucune conséquence sur les assurés». En revanche, nous apprenons que les primes des assurances complémentaires pourraient être réduites. Enfin, la participation directe des assurés serait plus importante. En résumé: le bilan est négatif pour les ménages modestes et reste favorable aux riches.
Une réforme aussi profonde de la LAMal, qui ne prend pas au sérieux l’inégalité de traitement sur laquelle repose le financement du système de santé, n’est simplement pas acceptable. Il faudrait plutôt prendre exemple sur le financement de l’assurance accidents: un contrôle paritaire, un organisme central et des primes en pourcent du salaire. Basique.

PERTE DE CONTRÔLE DES CANTONS - Dans le projet de la CSSS-N, les cantons perdent le contrôle du système de santé et sont réduits au rôle d’agent payeur. Or les autorités cantonales devraient être garantes d’un fonctionnement démocratique proposant des soins à l’ensemble de la population, sans discrimination. Cette perte de contrôle signifie aussi que les cantons
n’auraient plus accès aux données sensibles dans le secteur hospitalier, puisque les factures ne transiteraient plus par leurs services. Or ces données sont utiles pour les politiques de prévention. Tandis que, dans la main des assureurs, elles peuvent servir au tri des patients ou à des fins de marketing.

UNE COMMISSION SOUS INFLUENCE - Les caisses maladie seraient donc les grandes gagnantes de la révision, qui se traduirait par la redistribution d’environ 8 milliards de francs aux assureurs – sans la moindre contrepartie. On comprend mieux pourquoi en observant la composition de la CSSS-N, truffée de représentants de l’industrie pharmaceutique, des assureurs et des cliniques privées. Sept membres de la commission sont membres du groupe d’intérêt IG biomedizinische Forschung und Innovation – un lobby créé par des pharmas; quatre participent au Groupe de réflexion du Groupe Mutuel, qui verserait 10 000 francs à ses membres pour quatre séances annuelle; Ruth Humbel (PDC) est membre des conseils d’administration de la Concordia et des cliniques Klinik Villa im Park et RehaClinic AG; Heinz Brandt (UDC) est président du comité directeur de Santé Suisse; Lorenz Hess (PBD) est membre du conseil d’administration de Visana; Ulrich Giezendanner (UDC) est vice-président de cinq conseils d’administration liés à la caisse maladie et assureur KPT. Nos impôts doivent être utilisés pour financer le secteur des soins, à condition que les lois sur le personnel ou les conventions collectives de travail soient respectées – pas pour financer des caisses maladie incontrôlables. Le SSP et l’USS refusent le projet de la CSSS-N.

BEATRIZ ROSENDE, SECRÉTAIRE CENTRALE SSP
Services publics n° 19, 30 novembre 2018

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