Grève « douce », mais victoire solide !

Historique. Le mot n’est pas galvaudé pour évoquer la journée d’actions et de grève qui a balayé l’Hôpital fribourgeois et le Réseau fribourgeois de santé mentale, ce mardi 22 mai. Dans tous les services, de l’intendance aux blocs opératoires en passant par la dialyse et les cuisines, les salariés ont répondu présents.

Plusieurs centaines de personnes ont interrompu le travail pour rejoindre les piquets de grève organisés sur l’ensemble des sites hospitaliers. Si les prestations essentielles ont été assurées – ce qui démontre l’attachement des soignants à leurs patients –, nombre de services ont vu leurs activités ralenties, voire réduites.

Il faut remercier les salariés qui, avec courage et détermination, ont exigé le maintien de la Loi sur le personnel (LPers) à l’HFR et au RFSM. Et, tout particulièrement, les militants du groupe syndical de l’HFR, qui se sont donnés corps et âme pour que ce mouvement soit une réussite.
Le recours à la grève n’a pas été décidé à la légère. Mais face à la violence de l’attaque lancée par le Conseil d’Etat et la direction de l’HFR contre son personnel, il s’est imposé comme la seule réponse adaptée.

Le projet de sortir 4000 salariés de la Loi sur le personnel de l’Etat est une attaque d’une violence inouïe. D’abord contre les principaux concernés, qui verraient leurs salaires, leurs rentes de retraite, leurs conditions de travail et d’emploi revus à la baisse. Mais aussi pour l’hôpital public, en passe d’être
transformé en entreprise dont on vend les bouts les plus rentables au privé. Et pour les patients, qui voient la qualité des soins se détériorer au fil de la dégradation des conditions de travail.

Enfin, pour l’ensemble de la fonction publique fribourgeoise, qui se verrait divisée et dont, sans aucun doute, d’autres secteurs seraient visés demain par le Conseil d’État. Pour justifier sa volonté de sortir de la LPers, le Conseil d’État invoque des raisons d’ordre financier. Cet argument ne tient pas la route. Il est même carrément scandaleux. D’abord, parce que le rôle d’un hôpital n’est pas de dégager des bénéfices – mais de garantir des soins de qualité à toute la population. Ensuite, parce que le Conseil d’État est assis sur une fortune d’un milliard de francs. Il s’apprête même, dans le cadre du Projet fiscal 17, à baisser radicalement l’imposition des grandes entreprises – ce qui coûtera 50 millions de francs par année aux caisses publiques.

NOTRE MOBILISATION A PAYÉ

Cet argent tombera dans la poche des personnes les plus fortunées du canton – qui bénéficieront, en plus, d’un nouvel allègement de l’imposition sur la fortune! La sortie de la LPers n’a pas pour but de «sauver l’hôpital public». Au contraire. Elle risque de le couler définitivement. Tout cela pour permettre aux plus riches d’augmenter leur pactole – et aux investisseurs privés de transformer la santé en juteux business.
Sous pression, le Grand Conseil a décidé d’enterrer le débat sur la sortie de la LPers. Qualifiée de «douce» par les médias, notre grève a permis d’emporter une solide victoire. La leçon à retenir est limpide: la grève paie. C’est même le seul moyen de freiner le démantèlement du service public.
Bravo à toutes et tous. Notre combat continue, mais nous sommes plus forts depuis ce mardi 22 mai. ◼
GAÉTAN ZURKINDEN SECRÉTAIRE SSP . RÉGION FRIBOURG / Services publics

La grève, pour l’amour du métier

Blouse bleue sur le dos, matériel stérile à portée de main. Quand le patient arrive en salle d’opération, Annick Delhomel est dans les starting-blocks. Une instrumentiste en bloc opératoire doit avoir le cœur bien accroché: «C’est super-intéressant, mais intense. Peu d’interventions se passent comme dans
les livres, car l’anatomie de chacun est particulière. Et quand on est sur une urgence abdominale, on ne sait jamais ce qu’on va trouver.» Annick adore son métier. Et c’est bien pour cela qu’elle a posé ses instruments le 22 mai.

DE LA MER AUX PRÉALPES. Originaire du Nord de la France, où elle a suivi sa formation d’infirmière instrumentiste, Annick a vécu à Chambéry, puis Nîmes, avant de passer rapidement par Sion et Neuchâtel, pour atterrir en Gruyères. C’était il y a six ans. Pas facile de quitter le Sud – le soleil, la mer, les tomates qui ont du goût… Mais cette mère de trois enfants a le coup de cÅ“ur pour les Préalpes fribourgeoises. Elle commence à travailler dans un
«paradis pour les patients»: l’hôpital de Riaz, à deux pas de Bulle, la deuxième ville du canton. Un établissement à taille humaine, avec des patients qu’on connaît et qui reviennent, des équipes chirurgicales et paramédicales «fabuleuses et solidaires».

PREMIÈRES RESTRUCTURATIONS. Au bloc opératoire, l’activité se révèle nourrie et diversifiée. Mais les premières restructurations débarquent. Le service de gynécologie et la maternité sont supprimés. Puis, la grosse chirurgie passe à la trappe. L’activité du bloc chute. Heureusement, il reste les urgences. Le 25 avril dernier, c’est l’estocade. La direction du HFR annonce que la salle d’opérations sera fermé la nuit, le service de stérilisation supprimé et centralisé à Fribourg. Objectif: réaliser 1 million de francs d’économies.

AMPUTER LE BLOC OPÉRATOIRE. «Il y a une claire volonté de saper le bloc opératoire de Riaz. Et de charger au maximum celui du cantonal», souligne Annick. Pourtant, les salles d’op du cantonal sont déjà engorgées. Du coup, les mesures de «rationalisation» ont des conséquences peu rationnelles… Comme pour cette patiente prise en charge aux urgences de Riaz, envoyée se faire opérer au cantonal, puis ramenée en Gruyères en raison de l’attente trop élevée dans la capitale cantonale.

OBJECTIFS FINANCIERS. Le diagnostic est sans appel: «Ces changements ne sont pas faits en fonction du bien-être des patients: leurs objectifs sont purement financiers.» Les blocs périphériques de Riaz et Tafers doivent être plus rentables, argumentent en effet direction et Conseil d’Etat. Pour être privatisés demain? En parallèle, la direction de l’HFR annonce la suppression de dix postes de travail, entre instrumentistes et aides de salle. Sans préciser qui sera touché. Au boulot, bonjour l’ambiance. «On se regarde en chiens de faïence. Un climat de défiance est mis sur pied par la hiérarchie.»

HÔPITAL OU USINE? Une mauvaise nouvelle vient rarement seule. Moins de quinze jours après l’annonce de la fermeture nocturne du bloc, Annick aura, avec la délégation du SSP conviée par le Conseil d’Etat, la primeur du «plan de mesures» concocté pour l’Hôpital fribourgeois. Une vraie baffe. «Ils nous ont proposé le choix entre l’enfer – une CCT – ou le purgatoire – une Loi sur le personnel au rabais.» À nouveau, l’essentiel est oublié: «Les
magistrats n’ont pas abordé la prise en charge des patients, le confort des malades, la qualité des soins. Ils n’ont parlé que d’argent. Comme si l’hôpital était une usine de voitures.»

CRÉER DE LA MISÈRE. Et les salariés, des moutons prêts pour la tonte: «Ce que le Conseil d’Etat propose, c’est de créer de la misère. 5% à 10%
de baisse des revenus, ça veut dire, à long terme, amputer de 30% les retraites. Alors que le canton est assis sur une fortune d’un milliard!» Et qu’il s’apprête, en parallèle, à mettre en œuvre une réduction phénoménale du taux d’imposition des entreprises. Comme nombre de ses collègues, Annick est
révoltée par la saignée imposée à l’hôpital. «Dans ma rue, l’Etat vient de financer la pose d’un goudron insonorisé. Pour trente mètres de route, on a dépensé 1,5 million. Mais en parallèle, on tire à boulets rouges sur un élément clé de notre société!»

UNE SOLUTION, LA GRÈVE. Que faire face à ce démantèlement? En France, Annick a participé à des luttes dures. «J’ai déjà fait 10 jours de grève. Chez moi, dans le Nord, on n’hésite pas à descendre dans la rue, quitte à perdre notre salaire et vivre de la solidarité. Cela nous a permis d’avoir gain de cause, notamment en revalorisant notre fonction.» Ici aussi, le personnel doit se serrer les coudes. Et se battre. L’infirmière n’en doute pas: «La seule solution à même de mettre la pression sur les politiques et la direction de l’HFR, c’est la grève.» Qu’en pensent ses collègues? «Ils sont motivés à se bouger», mais se trouvent en terrain inconnu. Quand elle leur a demandé ce qui se passe quand on arrête le travail en Suisse, Annick s’est vu répondre: «Ici, on ne fait jamais la grève.»
C’est peut-être ce qui a le plus étonné la soignante depuis son arrivée en terres helvétiques: la résignation qui règne sur les lieux de travail. «On est dans un des pays les plus riches au monde, les grosses fortunes courent les rues. Mais les petites gens acceptent de travailler plus que sur le reste du continent, la tête baissée.»
Jusqu’à ce 22 mai, quand le personnel soignant a décidé de relever la tête. Et de quelle manière! ◼︎︎

PROFIL MILITANT . Mardi 22 mai, Annick Delhomel, instrumentiste au bloc opératoire de Riaz, a posé ses ustensiles. Elle participait à la première grève de l’histoire du personnel soignant à Fribourg. Parce qu’elle aime son travail et refuse la saignée sans fin imposée à l’hôpital public. GUY ZURKINDEN .

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