Sale temps pour les salariés de La Poste

«J’ai le sentiment d’avoir été éjectée», raconte Lucienne, licenciée par le géant jaune après 40 ans de service, qui participait à une action vendredi dernier contre la fermeture des offices de poste. Elle rappelle que si les restructurations affectent les usagers, elles touchent aussi les employés.

«Je n’arrive pas à avaler la pilule, je ne dors plus la nuit!» Lucienne (prénom d’emprunt), qui participait à une action menée vendredi dernier à Lausanne contre la fermeture des offices de poste (voir ci-dessous), n’a pas encore digéré la façon dont s’est terminée sa longue carrière chez le Géant jaune. Cela faisait plus de 40 ans, depuis 1970, qu’elle travaillait au guichet d’un office lausannois lorsque, en février dernier, à 62 ans, on lui propose de partir en retraite anticipée. «Quelques mois plus tard, mon lieu de travail figurait sur la liste des offices menacés», constate-t-elle, rappelant que «le démantèlement du réseau a des conséquences non seulement pour les usagers, mais également pour les employés».

«Et on nous demande de voter pour augmenter l’âge de la retraite?»
Lucienne bénéficie du plan social accepté par les partenaires sociaux en vigueur depuis 2011, qui prévoit notamment que les personnes âgées de 62 ans et plus concernées par une restructuration partent à la retraite anticipée. Elle reçoit sa rente 2ème pilier et les cotisations LPP continuent à lui être payées par La Poste jusqu’à 64 ans. Mais cela ne change rien à son ressenti, d’autant plus qu’elle estime avoir été mal renseignée. «Mon employeur m’a expliqué qu’il y avait trop de personnel dans mon office. J’ai d’abord dit que j’étais prête à aller ailleurs, puis il m’a informé qu’avec le 2ème pilier anticipé et en m’inscrivant au chômage, je perdrais seulement 300 francs par mois. J’ai donc accepté.» Mais elle se rend compte par la suite que le manque à gagner est plutôt de l’ordre de 1000 francs par mois.

«J’ai le sentiment d’avoir été éjectée, qu’ils voulaient vraiment se débarrasser de moi, après autant d’années, je ressens un profond manque de reconnaissance», confie celle qui se retrouve aujourd’hui à devoir faire des recherches d’emploi au chômage pour les quelques mois qui lui restent avant l’AVS. Et de rappeler que «je suis la 3e génération de postiers dans ma famille, j’ai vraiment du sang jaune»! C’est surtout l’ensemble du processus qui la choque. «Comment la Confédération, propriétaire majoritaire de La Poste, qui fait des centaines de millions de bénéfices, permet à celle-ci de licencier des employés à une année de l’AVS et faire payer le chômage, donc la collectivité? C’est inacceptable». «Je ne suis pas la seule, depuis que la fermeture de nombreux office est en examen, plusieurs collègues âgés de 62 ans ont reçu leur congé», assure-t-elle encore. «Et on nous demande de voter pour augmenter l’âge de la retraite?»

Une évolution «inquiétante»
En février dernier, le syndicat Syndicom dénonçait déjà «une vague de licenciement dans les offices de poste en Suisse romande», pointant du doigt le cas de 20 personnes à Genève et 6 à Fribourg orientées vers le plan social sans qu’une offre alternative ne leur ait été faite et alors que les discussions avec les cantons concernant les offices menacés n’étaient pas achevées. La Poste «manque à ses promesses», jugeait alors le syndicat, rappelant que celle-ci s’était engagée à «chercher pour les employés concernés par les changements des solutions adéquates dans d’autres domaines» et à «entretenir un dialogue actif avec les partenaires sociaux».

Contacté, Christian Capacoel, porte-parole de Syndicom, confirme que le nombre de personnes concernées par le plan social – qui garantit notamment maximum 18 mois de salaire aux personnes licenciées qui ne sont pas en âge de prendre la retraite – est en augmentation. «Ce serait un scandale si La Poste utilise ce plan social pour licencier en masse. Il ne doit en principe concerner que des cas exceptionnels. Si elle continue avec ses restructurations, il devra être amélioré», commente-t-il. Et de souligner que «La Poste doit faire des efforts pour transférer, autant que possible, les employés des offices vers d’autres secteurs, d’autant plus qu’elle prétend développer de nouveaux domaines comme le numérique». Le syndicat observe également «avec inquiétude» une diminution progressive du pourcentage de travail des employés de plusieurs offices de poste, sans toutefois que les horaires d’ouverture ne soient modifiés. «Au final, le même travail doit être effectué, ce qui représente une pression sur le personnel.»

«La Poste devrait attendre une décision politique avant de procéder à des licenciements et fermetures d’offices », estime encore le syndicaliste, qui rappelle que de nombreux politiques ont manifesté leurs craintes quant aux manœuvres du géant jaune et que différentes interventions parlementaires sont pendantes aux chambres fédérales. «Mais le processus prend du temps et La Poste semble en profiter pour avancer dans sa besogne et pratiquer une politique du fait accompli», critique-t-il.

«Circulez, il n’y a rien à voir!»
Alors, La Poste a-t-elle oui ou non commencé à licencier en douce ou à réduire le pourcentage de travail de ses employés? Contactée, sa porte-parole Nathalie Dérobert Fellay élude, mais ne dément pas non plus. «La Poste ne donne aucune information au sujet de dossiers liés au droit du travail et touchant à la sphère privée du personnel», déclare-t-elle dans une prise de position écrite, tout en assurant que «La Poste assume sa responsabilité sociale», que «l’objectif déclaré est de continuer à éviter des licenciements» et que «les collaborateurs touchés par un changement peuvent bénéficier de l’accompagnement prévu par le plan social négocié avec nos partenaires sociaux». En d’autres termes, «Circulez, il n’y a rien à voir»!

Pour rappel, La Poste avait annoncé fin 2016 que 1200 personnes pourraient être touchées au niveau Suisse d’ici 2020 par ses décisions de restructuration.

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La directrice de La Poste licenciée!
Le comité vaudois «Touche pas à ma poste», composé notamment du POP, de l’association de défense des services publics Acidus et de Syndicom, poursuit sa lutte contre les restructurations du géant jaune. Vendredi dernier, une action a été menée devant le bureau de poste de la Riponne à Lausanne. Après avoir rappelé leurs revendications, les militants se sont rendus dans l’office pour envoyer une lettre de licenciement à la Susanne Ruoff, directrice de La Poste suisse. Prétexte: la gestion «calamiteuse» de l’entreprise par cette dernière. Il lui est en particulier reproché de «refuser d’écouter la population qui a clairement exprimé son opposition au démantèlement d’offices postaux», notamment via «de nombreuses interventions parlementaires actions citoyennes communales et cantonales», de favoriser une dégradation de la qualité du service et le dumping salarial en remplaçant des offices par des agences postales, ce qui lui permet d’«éviter de rétribuer correctement les employés», de ne pas respecter la loi qui lui impose d’ «assurer un service universel suffisant, à des prix raisonnables, à tous les groupes de population et dans toutes les régions du pays», ou encore de «négliger sa responsabilité d’entreprise socialement responsable en licenciant du personnel qualifié et compétent». Deux interpellations ont également été déposées au Grand Conseil, notamment concernant le risque de dumping salarial dans les agences postales.

Gauchebdo, 14 septembre 2017 par Juliette Müller

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