Le Ceta gagne la première manche

Mondialisation • Le Parlement européen vient d’approuver l’accord de libre-échange avec le Canada, présenté par ses défenseurs comme un rempart face à Donald Trump. Une grosse intox pour sauver une doctrine néolibérale au bout du rouleau (par Thomas Lemahieu, paru dans l’Humanité)

C’est un long, long chemin. Cette semaine, en séance plénière à Strasbourg, les eurodéputés ont approuvé le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne. Une étape importante, mais pas encore décisive pour ce texte connu sous le nom de Ceta (en français, accord économique et commercial global), qui, par-delà les déclarations d’intention, consacre la prééminence des intérêts des grandes entreprises et des multinationales sur l’intérêt général, les droits sociaux et l’environnement.

Certaines des dispositions du traité entreront en vigueur dès mars, «de manière provisoire», mais le traité devra encore être validé par tous les Parlements nationaux des États membres et, dans certains cas, comme en Belgique, régionaux. Sa compatibilité avec des règles communautaires ou les Constitutions nationales, très douteuse aux yeux de nombreux spécialistes du droit international, devra aussi être établie dans les prochains mois… Un long, long chemin qui, avec l’intervention croissante des peuples, pourrait finir dans l’impasse.

4 millions de signatures contre Ceta et Tafta
Négocié, en toute discrétion et loin du contrôle citoyen, entre 2009 et 2014 par les autorités canadiennes et la Commission européenne, le Ceta est devenu, au fil de ces derniers mois, l’ultime avatar de la doctrine du libre-échange. Tout un symbole: alors que son «grand frère», l’accord de partenariat transatlantique avec les États-Unis (Tafta ou TTIP), déjà passablement enlisé avant même l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, paraît à présent remisé dans les cartons, c’est le traité avec le Canada qui concentre toutes les attentions.

Du côté des opposants à ces vecteurs de dérégulation économique et de casse sociale ou environnementale dans la mondialisation néolibérale, il s’agit, après la mise en échec ces dernières décennies de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), de faire tomber l’un des derniers dominos d’un libre-échange dévastateur sur toute la planète, afin de développer une tout autre conception des échanges économiques. À chaque étape de sa gestation, l’accord avec le Canada a connu son lot d’embûches. Près de 4 millions de citoyens dans toute l’Union européenne ont signé une pétition contre les jumeaux Tafta et Ceta. Même si elles sont restées de taille modeste en France, les manifestations ailleurs en Europe, en Allemagne ou en Belgique par exemple, ont rassemblé des dizaines de milliers de participants. Tous les syndicats européens ainsi que les ONG spécialisées dans la défense de l’environnement se sont prononcés contre.

Les partisans du libre-échange n’en mènent pas large
À l’automne, le Parlement régional wallon, au sud de la Belgique, a entravé pendant des semaines la ratification par les chefs d’État et de gouvernement, en exigeant une série de «clarifications» et en introduisant dans la procédure ultérieure de validation une clause qui pourrait détruire le Ceta: l’avis de la Cour de justice européenne devra être sollicité afin de vérifier sa compatibilité avec les traités, avant que les Parlements fédéral et régionaux belges ne se prononcent.
Face à cette grandissante pression sociale, politique et citoyenne, les partisans du libre-échange n’en mènent pas large et jouent leur va-tout. À l’instar du gouvernement français, beaucoup tentent de présenter le Ceta comme un «accord modèle» avec, selon eux, un fond et une forme bien différents par rapport aux autres traités commerciaux multilatéraux ou bilatéraux. «Ce qui se joue aujourd’hui, ce n’est pas seulement l’accord entre l’Union européenne et le Canada, mais bien la crédibilité de l’Union européenne en tant que partenaire fiable dans les négociations à venir, estime Markus Beyrer, directeur général de BusinessEurope, le lobby bruxellois qui rassemble tous les patronats des États membres.

Le commerce est soumis à un sévère examen public et le Ceta est devenu un cas d’école. Or, s’il y a bien un accord qui peut tenir dans cet examen public et être jugé pour ses mérites, c’est vraiment le Ceta.» Encadré par une myriade de déclarations interprétatives et de communiqués, le traité UE-Canada «assure», d’après la Commission européenne, «la protection des investissements tout en affirmant le droit des gouvernements à réglementer dans l’intérêt public, y compris lorsque de telles réglementations peuvent interférer avec un investissement étranger». Or, le Ceta accorde bel et bien des droits étendus aux grandes entreprises et aux multinationales, qui pourront attaquer tous azimuts les États par le biais du mécanisme désormais fameux des tribunaux d’arbitrage privés.

40’000 multinationales états-uniennes pourraient en profiter
Pour tenter de sauver les meubles, les zélateurs du Ceta, bouches en cœur, du miel au bout des lèvres, mettent en avant les «valeurs communes» existant entre le Canada et l’Union européenne, à mille lieues des USA de Donald Trump. Au passage, ils font mine de ne pas voir la porte dérobée vers l’Europe qu’ouvre le Ceta à près de 40’000 multinationales états-uniennes disposant de filiales au Canada.

Assurant recevoir des appels du pied de nombreux pays dans le monde entier avec lesquels l’Union européenne projette d’aboutir à de nouveaux accords de libre-échange (Japon, Chili, Brésil, Argentine, Indonésie, Australie, Nouvelle-Zélande, Vietnam, Singapour, etc.), Cecilia Malmström, commissaire européenne au commerce, en charge des négociations sur les accords de libre-échange, use allègrement de la corde de la peur pour resserrer les rangs. «Une guerre commerciale serait un désastre pour tous», lançait-elle la semaine dernière dans le quotidien belge le Soir.

Le problème, évidemment, c’est que la «guerre économique» est déclenchée depuis des décennies désormais et que ses armes les plus meurtrières, disséminées sur toute la planète, sont à rechercher dans les traités de libre-échange qui arasent les droits sociaux et détruisent l’environnement… «Il nous faut bien comprendre que Trump ne sort pas de nulle part, rappellent dans un communiqué les Attac d’Europe. Son poison s’insinue par les millions de sillons creusés par l’économie mondialisée et dérégulée. Les mêmes causes produiraient les mêmes effets, et le Ceta ne sera sûrement pas une arme pour combattre Trump et ses semblables des deux côtés de l’Atlantique. Bien au contraire, il les nourrit.»

Publié le 17 février 2017 par la rédaction de Gauchebdo

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