TAFTA : Une grave menace pour le droit syndical et les protections sociales

Le Tafta en passe d’être enfin abandonné!
Le traité sur la mise en place d’une zone de libre-échange transatlantique (désigné par son sigle anglais Tafta, ou TTIP), qui est en cours de négociation dans la plus grande discrétion entre les dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne (UE), et qui pourrait aboutir à la création de la plus vaste zone de libre-échange du monde (29 États, 820 millions d’habitants, de part et d’autre de l’Atlantique), serait très néfaste pour les travailleurs.
Prévoyant l’élimination des droits de douane, la suppression des « obstacles non tarifaires » au commerce (comme le contrôle sur la qualité des importations), l’harmonisation des normes et des réglementations, il pourrait faire sauter les normes européennes en matière sociale ou environnementale, qui sont plus avancées que celles des États-Unis. Ainsi, cela pourrait remettre en cause la liberté syndicale, ou ouvrir l’Europe au boeuf aux hormones américain. En outre, le Tafta prévoit que les grandes multinationales, si elles s’estiment « discriminées » par une réglementation, peuvent réclamer des indemnités aux États, devant des tribunaux d’arbitrage privés. Elles auront le droit de faire condamner des États par des tribunaux d’arbitrage privés opérant en dehors de la juridiction nationale, les investor state dispute settlements (ISDS).

Dans ces tribunaux privés, ce n’est même pas un magistrat officiel qui juge, mais l’entreprise plaignante qui choisit un premier arbitre, l’État poursuivi un autre, et les deux parties, un troisième. Ces arbitres sont choisis dans un cercle très étroit et fermé, et très favorable aux milieux d’affaires. « On confie à trois individus privés le pouvoir d’examiner, sans aucune restriction ni procédure d’appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions de ses tribunaux, toutes les lois et régulations émanant de leur Parlement », comme le résume Juan Fernandez Antonio, lui-même arbitre international, interviewé dans Fakir.

Ces ISDS fournissent une protection aux investisseurs mais pas aux États ni à la population. Ils permettent aux investisseurs de poursuivre des États, mais pas l’inverse ! Par exemple, le groupe nucléaire suédois Vattenfall poursuit en justice le gouvernement allemand pour sa décision d’abandonner l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Et l’entreprise française Veolia, qui avait lancé une filiale de traitement des déchets en Égypte, filiale qui avait peu fait recette, a attaqué le gouvernement égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum à la suite de la révolution arabe de 2011. Ces affaires ont déjà coûté aux gouvernements des centaines de millions d’euros. Cette justice est si inique que certains pays ont décidé de l’abandonner : l’Australie, la Bolivie, l’Équateur, l’Afrique du Sud. Le Tafta constitue aussi une grave menace pour l’exercice du droit syndical et les protections sociales, comme le salaire minimum. En effet les normes sociales seraient uniformisées sur celles des États-Unis. Or ce pays ne reconnaît pas la plupart des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la protection des travailleurs (liberté de réunion, droit aux négociations collectives), car il les considère comme des entraves au commerce et à la libre concurrence.

« LE TAFTA POURRAIT AGGRAVER DRAMATIQUEMENT LA PAUVRETÉ ET LA PRÉCARITÉ DANS L’UNION EUROPÉENNE.»
ET ATTENTION AU CETA !

La bataille décisive contre le Ceta (le traité de libre-échange avec le Canada, vilain petit frère du Tafta) s’approche. Le vote crucial au Conseil de l’Union et du Parlement européen pourrait survenir après que les ministres d’Europe auront donné leur feu vert.

Au nom du respect de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée », les multinationales pourraient par exemple obliger des États à privatiser entièrement les services de santé ! Les multinationales pourraient aussi contester les standards de l’OIT comme discriminants, elles pourraient faire valoir que la protection des travailleurs et des droits syndicaux sont des obstacles au commerce et au libre-échange. De plus, le Tafta va à l’encontre de plusieurs textes importants des Nations unies, comme les conventions de l’OIT et le principe directeur n° 9 de l’ONU sur les affaires et les droits de l’homme, qui prévoit que les États doivent s’assurer que les accords sur le commerce et l’investissement ne contraignent pas leur capacité à assurer leurs obligations concernant les droits de l’homme. Un expert des Nations unies, l’avocat américain d’origine cubaine Alfred de Zayas, s’est récemment publiquement élevé contre le Tafta et a réclamé la suspension des négociations menées entre États-Unis et Union européenne pour faire adopter ce projet. Alfred de Zayas, nommé « rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable », a préparé pour l’ONU un rapport sur les tactiques utilisées par les multinationales dans les négociations du Tafta pour arriver à leurs fins. Il juge sévèrement les ISDS, qui constituent selon lui « une tentative d’échapper à la juridiction des tribunaux nationaux et de contourner l’obligation de tous les États d’assurer que toutes les affaires juridiques soient traitées devant des tribunaux indépendants qui soient publics, transparents, responsables et susceptibles d’appel ». Il ajoute que le Tafta enfreindrait la charte de l’ONU, signée par tous les États membres.

Le Tafta pourrait ainsi aggraver dramatiquement la pauvreté et la précarité dans l’Union européenne. Face à ces dangers, la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a adopté en 2014 la convention sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités, un ensemble de règles qui visent à rendre publiquement accessibles les informations sur les arbitrages entre investisseurs et États découlant de traités d’investissement, de sorte que tous les textes du Tafta soient rendus publics afin que dans tous les pays de l’UE les parlementaires et les citoyens aient du temps pour les évaluer de manière démocratique.

La situation vient d’évoluer récemment puisque, après les propos du ministre allemand de l’Économie, Sigmar Gabriel (SPD, gauche), qui le 28 août 2016 a déclaré que les négociations sur le Tafta « ont pratiquement échoué » (elles durent effectivement depuis 2013 et on en est à 14 rounds de négociations), François Hollande a affirmé, en septembre 2016, que le gouvernement français entend demander à la Commission européenne d’arrêter les négociations sur le Tafta, jugées trop opaques et trop déséquilibrées au profit des États-Unis. Il était temps que nos dirigeants écoutent les peuples qui depuis plusieurs années dénoncent ce projet inique. La pression des peuples se poursuit : mi-septembre 2016, près de 300 000 manifestants ont défilé en Allemagne contre ce traité. Ainsi, grâce au travail d’information et aux luttes menés par les citoyens et l’ONU, ce projet est peut-être en passe d’être abandonné. Continuons à nous mobiliser pour cela !

L’Humanité, CHLOÉ MAUREL docteure en histoire, spécialiste des Nations Unies

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