Le géant jaune et le dragon asiatique

La gestion des adresses de colis a été confiée à des travailleurs vietnamiens via la filiale Swiss Post Solutions. La course à la rentabilité a un coût social. Les syndicats protestent.

Si vous avez déménagé et que les colis qui vous sont destinés ne sont plus envoyés à votre ancienne adresse, c’est grâce à eux. Aux dizaines de Vietnamiens qui gèrent les adresses des paquets suisses à quelque 10 000 kilomètres d’ici. La Poste sous-traite à ces petites mains asiatiques ce nouveau service pour améliorer l’expédition des colis. Avec de bonnes économies à la clé.
Le géant jaune a mis en place en octobre dernier ce procédé qui permet d’acheminer à bon port les colis. Sans le crier sur les toits. «Nous apprenons toujours ce genre de choses par la presse, que ce soit ce nouveau service ou l’externalisation des activités au Vietnam», déplore Olivier Cottagnoud, président du Syndicat autonome des postiers (SAP). «La Poste essaie de cacher ses choix discutables le plus longtemps possible. La sous-traitance au Vietnam n’est pas acceptable pour nous. Nous craignons qu’elle ne soit la première étape d’une stratégie de délocalisation à plus large échelle.»
Dans les 45 secondes La Poste a confié cette tâche à sa filiale Swiss Post Solutions (SPS), spécialisée au Vietnam depuis 2004 dans la digitalisation de documents auprès de clients privés et publics (voir ci-contre). Le principe est simple: dans les trois grands centres de colis en Suisse (Frauenfeld, Härkingen et Daillens), l’adresse du paquet est lue par un lecteur automatique, avant d’être scannée et envoyée en Asie. Un employé réceptionne l’envoi et introduit dans le système ce qui est écrit sur l’étiquette. «Et si la machine en Suisse ne parvient pas à lire l’adresse, le collaborateur au Vietnam corrige l’adresse avec son clavier et l’entre dans le système», ajoute Bernhard Bürki, porte-parole de La Poste.
L’adresse individuelle doit à nouveau être disponible dans l’un des trois grands centres de colis dans les 45 secondes qui suivent son scannage. But de l’exercice: repérer les adresses erronées, tout comme les changements d’adresse et les colis à réexpédier.
Mais pourquoi une ancienne régie fédérale, aujourd’hui entreprise de droit public appartenant à l’État, sous-traite-t-elle cette activité à la main-d’œuvre vietnamienne? «Grâce au savoir-faire de SPS Vietnam et aux fuseaux horaires, La Poste est en mesure d’enregistrer et de traiter les adresses complètes des colis avec une grande rapidité», réplique Bernhard Bürki, porte-parole de La Poste.
Quand il est 22 h en Suisse, la journée de travail commence à Hô-Chi-Minh-Ville ou à Cân Tho, les deux centres de traitement de La Poste au Vietnam.
Grâce à ce service, les colis transférés ou à réexpédier parviennent au client un jour plus tôt. «C’est choquant» Rapidité rime avec rentabilité au pays de la main-d’œuvre bon marché.
La Poste ne le reconnaît qu’à demi-mot. «C’est choquant de la part d’une entreprise qui appartient à la population suisse, mais c’est cohérent avec la politique de maximisation des profits de La Poste», bondit le conseiller national Mathias Reynard (ps/VS).
«Elle a tendance à oublier qu’elle n’est pas une multinationale.» Alors, quelle économie sur les coûts de personnel? La Poste ne communiquant pas sur ce sujet sensible, c’est du côté des syndicats qu’il faut chercher un élément de réponse. «Les salaires payés en Vietnam varient entre 2000 et 3000 dollars par année, alors qu’en Suisse, le salaire minimal de la Poste est de 50 000 francs», compare Bruno Schmu cki, porte-parole de Syndicom, syndicat suisse des médias et de la communication.
L’entreprise assure que les rémunérations des 1200 employés de SPS Vietnam «se situent clairement au-dessus du salaire minimal vietnamien». Reste que les conditions de travail dans ce pays surnommé le dragon de l’Asie ne répondent pas aux mêmes standards qu’en Suisse.
Et le personnel suisse? S’il y a un coût, c’est au niveau social. En termes de pertes d’emplois? Bernhard Bürki assure qu’aucune place en Suisse n’a été sacrifiée au prof des Vietnamiens. Cette sous-traitance des étiquettes de paquets est pourtant un moyen pour La Poste, qui a encore dégagé un bénéfice consolidé de 638 millions de francs en 2014, de réduire les coûts en personnel, en plein processus de digitalisation des données.
Car la gestion des adresses aurait pu être confiée ici à du personnel, s’indignent les syndicats. «Ces places de travail pourraient être occupées en Suisse par des employés qui ont des ennuis de santé et qui ne peuvent plus travailler comme facteurs ou aux guichets», propose Bruno Schmucki. «La Poste ne joue pas son rôle social. Elle rate une chance d’intégrer les gens qui ont des problèmes de santé.»
La Poste a pourtant pour mission de mener une «politique du personnel moderne et sociale», comme le demande le Conseil fédéral dans les objectifs stratégiques 2013-2016 qu’il a assignés au géant jaune. Ce rôle d’employeur social figure sur cette liste aux côtés du renforcement de la rentabilité et de la compétitivité. Des missions incompatibles?

UNE FILIALE MULTIFONCTIONS
La Poste est cliente de sa propre filiale au Vietnam… Elle a confié à Swiss Post solutions (SPS) la gestion des adresses de colis suisses. Cette entreprise de services crée et optimise à Hô-Chi-Minh-Ville et Cân Tho depuis 2004 des systèmes pour la saisie des données et la gestion numérique des documents. «Un certain nombre de prestations informatiques et de scannage ainsi que le
traitement d’images font également partie de ses tâches principales», relève La Poste. Une partie des 1200 collaborateurs, qui comprend aussi de nombreux ingénieurs et techniciens hautement qualifiés, sont affectés à l’enregistrement et au traitement des adresses complètes de colis.
Le géant jaune a créé cette filiale dans 23 pays, Suisse comprise, pour diversifier ses activités et doper la rentabilité. Swiss Post Solutions n’a pas reçu de mission de service public comme la maison-mère.
«C’est une vitrine», estime BrunoSchmucki, porte-parole de Syndicom. «Elle est importante pour le scannage des documents en papier pour des clients comme les banques, les commerces, les assurances, les sociétés actives dans les transports, les télécommunications, les médias…» La Poste recourt aussi à SPS pour sa réception et sa poste interne.
«Les entreprises publiques suisses sont trop grandes pour la Suisse et trop petites pour le marché global», observe Matthias Finger, professeur de management des industries de réseaux à l’EPFL. «Donc elles trouvent des niches à l’étranger comme pour SPS.» La Poste mise ainsi sur des petits investissements clairs et peu risqués pour une croissance rentable à l’étranger. «Ils l’aident à compenser la baisse de son activité traditionnelle logistique en Suisse», précise La Poste. Qui a pourtant ramé pour assurer la rentabilité
de SPS à l’étranger: elle est longtemps restée dans les chiffres rouges. La faute à la forte concurrence sur le marché et au niveau international.

Le Courrier, 28.07.2015

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