Casse-tête hospitalier

Le nouveau système ne couvre toujours pas les frais. Les cantons épongent les déficitsLe système de financement des hôpitaux suisses aurait dû être confronté à une véritable révolution depuis plus d’un an. Jusqu’au 31 décembre 2011, le calcul des frais courants était simple: l’hôpital s’entendait avec un représentant unique des assurances maladie et des cantons sur un forfait journalier. La facture était obtenue en multipliant ce montant par le nombre de jours passés à l’hôpital. Les investissements lourds étaient assurés par les cantons.
Cela a changé le 1er janvier 2012. La Suisse a alors introduit un nouveau système de financement au forfait par cas appelé SwissDRG (pour diagnosis related group , soit «groupe lié à un diagnostic») pour offrir davantage de transparence et d’efficacité économique. De plus, la possibilité d’être soigné en dehors de son canton d’habitation sans autorisation spéciale devait faire jouer la concurrence. Mais ce nouveau système de financement est toujours problématique un an et demi après son introduction généralisée. Il ne suffit pas à couvrir entièrement, comme cela devait être le cas, à la fois les frais d’hospitalisation, les investissements lourds, les frais courants, ainsi qu’une partie de la recherche et de la formation.
Comment fonctionne-t-il? Chaque patient est incorporé dans un groupe de cas selon le genre de traitement qu’il reçoit. Des points DRG sont attribués aux soins reçus. On multiplie ces points par le prix de base de l’hôpital, et on obtient le montant de la facture.
«Aux Hôpitaux universitaires de Genève HUG, une jambe cassée sans complication va correspondre à 1,20 point pour la durée de séjour comprise par ce traitement. Pour obtenir le prix facturé, on multiplie le prix de base des HUG, 10 900 francs cette année, par 1,2, ce qui donne 13 080 francs pour une jambe cassée», explique Brigitte Rorive, directrice de l’analyse économique aux HUG. Pour un assuré à l’assurance de base, les coûts sont payés normalement à 55% par le canton et à 45% par l’assurance maladie.

Prix de base problématique

S’entendre sur le nombre de points qu’il faut attribuer à tel ou tel type de traitement est une question technique globalement moins débattue. Le système de points est unique et le même pour toute la Suisse.
Le nerf de la guerre — et le plus important problème du nouveau système suisse de financement des hôpitaux — c’est le prix de base, jugé trop bas par les hôpitaux pour équilibrer leurs comptes. Il est spécifique à chaque grand hôpital et négocié maintenant séparément avec trois représentants de groupes d’assurances, contre un par le passé. La question des investissements, ainsi que de la formation et de la recherche, y fait particulièrement débat.
Conséquence, les cantons sont appelés à la rescousse et doivent couvrir le déficit des hôpitaux, ce qui alourdit leurs finances parfois mal en point. Les assureurs et le surveillant des prix, eux, jugent que les hôpitaux ne travaillent pas de manière assez efficace, ou, pire, qu’ils ne dévoilent pas leurs véritables chiffres ou les maquillent.
La machine se grippe entre les assureurs d’une part, les hôpitaux et les cliniques de l’autre. Un grand nombre d’accords ne sont toujours pas signés pour l’année passée et les centres de soins travaillent avec des décisions provisoires. Le Tribunal administratif fédéral est pris à partie et doit trancher les cas litigieux.
Pour H +, l’association des hôpitaux suisses, «le bilan est positif, le système fonctionne», résume pourtant sa porte-parole Dorit Djelid. Elle rappelle que le problème important du transfert des données des patients entre les hôpitaux et les caisses maladie a été résolu par décret cet été. Il a permis aux assurances de pouvoir contrôler ce que les hôpitaux notaient sous le terme de complications, et qui rentrait dans le calcul de la facture finale.
L’association situe un des problèmes actuels encore au niveau de la part du prix de base calculé pour les investissements. «Dans la pratique, entre 9 et 10% sont pris en compte pour les charges d’utilisation des immeubles et des machines, ce qui est insuffisant. L’expérience montre qu’il faudrait plutôt une part comprise entre 12 et 16%. Il faut augmenter le prix de base», demande H +.
Pierre-François Leyvraz, directeur général du CHUV de Lausanne, déclarait dans nos colonnes (lire notre édition du 10 avril) que «les hôpitaux qui ne peuvent compter que sur les forfaits pour financer leurs investissements se trouveront dans une situation délicate». Le CHUV, lui, restitue au canton de Vaud la part des forfaits correspondant aux investissements. Ce dernier finance toujours les projets, précisait le directeur.
Le président de la Conférence des directeurs cantonaux des Finances, Christian Wanner, prévoit que les cantons vont être confrontés à des problèmes financiers grandissants, notamment à cause du nouveau financement des hôpitaux, a-t-il récemment déclaré à la presse. Le Canton du Jura a par exemple inscrit près de 14 millions à son budget 2013 pour compenser le déficit de son système hospitalier. Fribourg avait indiqué avoir besoin de 65 millions supplémentaires pour faire fonctionner ses hôpitaux.
Pour ce qui est de la question du financement de la formation et de la recherche, Brigitte Rorive des HUG regrette qu’un même montant soit défini pour l’ensemble des hôpitaux universitaires dans la recherche et la formation. «Ces montants, que nous jugeons trop élevés, sont retirés des forfaits et diminuent artificiellement les parts versées pour les soins par les assureurs», dit-elle.

Taux de 23% pour la recherche

Les assureurs et le surveillant suisse des prix demandent qu’un pourcentage de 23% du prix de base des hôpitaux universitaires soit reconnu comme servant à financer la recherche et la formation, précise Daniel Wiedmer, porte-parole de tarifsuisse, la filiale de l’association des caisses maladie santésuisse. Les hôpitaux demandent moitié moins.
Quand se tourner vers son Canton ne suffit plus, il faut se restructurer. C’est ce que va faire Yverdon, qui veut par exemple rassembler tous ses lits de soins importants du Nord vaudois d’ici à 2018. L’éclatement géographique des sites occasionne des coûts autour de 20% plus élevés. Autre solution: se vendre aux privés, comme vient de le faire l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel au groupe de cliniques Genolier.
Les hôpitaux cherchent aussi à augmenter les volumes pour mieux répartir les frais. Andreas Tobler, directeur médical de l’Hôpital de l’Ile à Berne, affirmait qu’«un nombre de cas plus élevé est une condition incontournable pour s’affirmer dans la concurrence nationale et internationale». Dans ce cadre, les grands hôpitaux suisses remettent en question la planification et la répartition de la médecine de pointe.
Thomas Thöni Zurich

Le tiers de la santé

Le nouveau financement des hôpitaux n’est pas un exercice en l’air. Il ne réorganise pas moins du tiers des coûts totaux de la santé suisse de 64 milliards de francs et porte sur 23 milliards.
Il a été mis en pratique par les quelque 300 hôpitaux que compte la Suisse. On dénombre parmi eux 120 centres pour les soins aigus et 180 cliniques spécialisées. Les 18 plus grands hôpitaux de soins aigus du pays gèrent la moitié des lits et des journées de soins.
Concernant l’emploi, ce ne sont pas moins de 181 000 collaborateurs qui sont potentiellement touchés, soit 4% de la population active.
Les hôpitaux suisses génèrent un chiffre d’affaires de 20 milliards.

T.T., Tribune de Genève

1 commentaire à “Casse-tête hospitalier”


  1. 1 helvetica 14 juin 2013 à 8:28

    Bonne analyse. Merci pour l’article.

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