Avenir de l’AVS : éviter les pièges

RETRAITES – La Confédération vient de publier diverses études destinées à préparer la prochaine révision de la prévoyance vieillesse (AVS et 2e pilier). Pour défendre et développer l’AVS, il faudra éviter de tomber dans les pièges tendus par les néolibéraux. Le Conseil fédéral devrait définir fin 2012 les grandes lignes de la réforme de l’AVS.

Décidé à «lier les travaux de réforme de l’AVS et du 2e pilier» 1, le conseiller fédéral Alain Berset a annoncé le 11 juin dernier que «le Conseil fédéral a prévu de fixer les axes de la réforme de la prévoyance vieillesse jusqu’à la fin de l’année» 2. Les études qui ont été rendues publiques le 28 août portent principalement sur les mécanismes de pilotage de l’AVS (par quoi il faut entendre surtout les très antisociaux et antidémocratiques freins à l’endettement), sur le phénomène de la génération du baby-boom et sur la mortalité différentielle. On ne peut toutefois débattre de l’avenir de l’AVS en se basant principalement sur des propositions «d’experts» et sans prendre en compte les objectifs politiques des milieux néolibéraux qui façonnent la politique en Suisse.

De l’attaque frontale aux pièges subtils
Les néolibéraux avaient mené une grande activité parlementaire propre à faire passer, en force et en urgence, avant même toute réforme, certains de leurs objectifs prioritaires en reprenant des attaques frontales contre des prestations actuelles de l’AVS et même du 2e pilier:
1. Introduire un processus automatique de ralentissement et de blocage de l’indexation des rentes AVS, dissimulé sous des appellations tentant de masquer son agressivité envers les retraités, telles que «mécanisme de pilotage de l’AVS» ou encore «frein à l’endettement de l’AVS».
2. Elever de 64 à 65 ans l’âge de la retraite AVS des femmes.
3. Abaisser le taux de conversion du 2e pilier, ce qui conduirait à une forte baisse des rentes, abaissement pourtant déjà refusé en votation populaire en 2010.

Ces attaques frontales ne sont pas encore en mesure de passer la rampe. Mais tout montre que les néolibéraux n’ont pas abandonné ces objectifs et qu’ils sont prêts à reprendre la bataille, avant ou pendant les réformes à venir.
Le premier piège réside dans la tentative de donner la priorité à une réforme du 2e pilier par rapport à la réforme de l’AVS. Certes, les rentes du 2e pilier doivent être préservées de toute baisse. Mais certains efforts financiers dus à la vision néolibérale d’une telle réforme du 2e pilier pourraient faire oublier l’AVS et rendre vaine l’idée, pour nous nécessaire, d’un développement de l’AVS. Ils pourraient même conduire à une baisse des prestations de l’AVS. Le Conseil fédéral a déjà publié le 4 janvier 2012 un gros rapport sur l’avenir du 2e pilier 3, alors que l’équivalent n’existe pas encore pour l’avenir de l’AVS. De plus, il est très inquiétant de voir que, dans ce rapport, le Conseil fédéral propose déjà que l’on compense par exemple la diminution des rentes du 2e pilier due à une baisse du taux de conversion «en puisant dans le compte de l’AVS» 4. Cela est d’autant plus inquiétant que ce projet semble déjà très avancé et qu’il relève d’une interprétation extrêmement contestable des mandats constitutionnels de la prévoyance vieillesse.

Un pessimisme infondé envers l’AVS
L’histoire montre que depuis la naissance de l’AVS en 1948, et même bien avant, les milieux antiprogressistes ont entretenu de manière constante l’idée de l’incapacité de cette assurance sociale à faire face aux défis démographiques et économiques. Cela alors que l’on peut dresser un tableau impressionnant des réussites de son fonctionnement et de son développement passés, sans que l’économie du pays ait eu à en souffrir. Nous ne rappellerons ici que deux faits, parmi ceux que nous avons déjà relevés par ailleurs 5, qui montrent que ce pessimisme n’a pas lieu d’être.
Premier fait: depuis 1975, les dépenses annuelles relatives à l’AVS représentent un pourcentage quasi constant du PIB, situé entre 6% et 7%; l’économie suisse n’a donc pas souffert des effets de l’augmentation de l’espérance de vie (qui existait déjà) sur l’AVS, et des améliorations qui lui ont été apportées à cette époque
Deuxième fait: le Conseil fédéral a présenté en 2000 le projet de la précédente réforme de l’AVS, soit la 11 e , finalement refusée par les Chambres fédérales. Sur la base d’études démographiques et économiques déjà très poussées, il a prédit que, de 1998 à 2010, le fonds AVS, soit la fortune de l’AVS, allait diminuer de 23 milliards; or les comptes de 2010 montrent que, au contraire, le fonds a augmenté de 15 milliards durant cette période. La prévision du Conseil fédéral a donc été trop pessimiste de 38 milliards de francs! Le deuxième piège est donc de laisser s’imposer un pessimisme inapproprié, non fondé sur la réalité des faits mais nourri par une volonté politique. Ce pessimisme est entretenu pour bloquer le développement de l’AVS et empêcher que, progressivement, les rentes AVS réalisent enfin leur mandat constitutionnel, à savoir couvrir les besoins vitaux.

Brouillage et manipulation des mandats constitutionnels
Il est très important de rappeler ici l’essentiel des mandats que la Constitution fédérale assigne aux rentes de la prévoyance vieillesse:
AVS: «Les rentes doivent couvrir les besoins vitaux de manière appropriée» (article 112, alinéa 2, lettre b).
Prévoyance professionnelle (2 e pilier): «La prévoyance professionnelle conjuguée avec l’AVS permet à l’assuré de maintenir de manière appropriée son niveau de vie antérieur» (article 113, alinéa 2, lettre a).
PC: «La Confédération et les cantons versent des prestations complémentaires si l’AVS ne couvre pas les besoins vitaux» (article 112a, alinéa 1).
La réforme actuelle de l’AVS ne semble pas prévoir, du moins pour l’instant, de modification constitutionnelle. Mais, sur ces trois mandats constitutionnels, sur les deux premiers surtout, on peut trouver de nombreux exemples où il se dit tout et n’importe quoi. Le Conseil fédéral semble lui- même vouloir oublier que, selon le mandat constitutionnel de l’AVS, la couverture des besoins vitaux incombe aux rentes AVS et à elles seules, lorsqu’il dit: «Grâce au système des trois piliers, une couverture adéquate du minimum vital est généralement garantie à l’âge de la retraite» 6. Les néolibéraux font comme si le mandat existant des rentes AVS n’avait plus cours car, pour eux, il serait non réalisable. Même l’Union syndicale suisse semble aussi oublier le mandat propre à l’AVS lorsqu’elle présente son projet AVSplus en réduisant les mandats de la prévoyance vieillesse à celui de la prévoyance professionnelle cité plus haut: «Le point de départ d’AVSplus est le mandat constitutionnel en matière de prévoyance vieillesse. La Constitution exige que les rentes de l’AVS et de la prévoyance professionnelle permettent ensemble de «maintenir de manière appropriée (le) niveau de vie antérieur».» 7 Oublié, le mandat propre à l’AVS! Or il existe. Et même si, comme beaucoup le font, on ne le considère que comme un objectif, au moins les réformes doivent-elles faire en sorte que les rentes AVS permettent de s’en approcher, même progressivement, et surtout ne s’en éloignent pas. De plus, le fait que la Constitution dise que les PC doivent être versées par la Confédération et les cantons si l’AVS ne couvre pas les besoins vitaux implique que la situation où ces versements ont lieu n’est que transitoire. Affirmer le contraire serait dire que le mandat existant de l’AVS, même vu comme objectif, pourrait ne jamais être réalisé et que s’en rapprocher ne serait même pas nécessaire. Ce serait effacer indûment un article constitutionnel!
Selon les néolibéraux, c’est l’addition des rentes de l’AVS et de la prévoyance professionnelle qui doit couvrir les besoins vitaux. Or, cette somme de rentes apparaît dans le mandat du 2e pilier, et non dans celui de l’AVS; et cette somme de rentes doit couvrir beaucoup plus que les besoins vitaux: elle doit maintenir de manière appropriée le niveau de vie antérieur de l’assuré. De plus, dans ce cadre la rente AVS seule doit toujours couvrir les besoins vitaux, par respect de son mandat. En effet, dans la prévoyance vieillesse le mandat des rentes AVS est primordial, prioritaire, et autonome par rapport à ceux des rentes du 2 e pilier et des PC; par contre les mandats des rentes du 2e pilier et des rentes PC sont liés à celui des rentes AVS.

Des mesures «techniques» qui dénatureraient l’AVS
Enfin, un autre piège réside dans la tentative d’introduire des mesures d’application décrites comme de nature technique mais susceptibles de conduire à abandonner certaines caractéristiques sociales et publiques fondamentales de l’AVS. Dans l’AVS actuelle, l’application de l’universalité des rentes conduit à éviter en principe de lier les rentes à trop de conditions personnelles, à trop d’individualisation et de flexibilisation. C’est d’ailleurs conforme à leur mandat constitutionnel: il est nécessaire de fixer un montant de rente permettant de couvrir les besoins vitaux, eux-mêmes évalués selon des critères socio-économiques. C’est parfaitement réalisable dans un système de financement social par répartition. La rente AVS ne doit donc pas être liée à trop de conditions personnelles, à trop d’individualisation et de flexibilisation. Cela ne serait pas cohérent avec le rôle de l’AVS. Vouloir introduire dans l’AVS une individualisation et une flexibilisation des rentes, comme c’est le cas pour les rentes du 2e pilier géré par capitalisation (un avoir vieillesse est accumulé par chaque assuré grâce aux cotisations le concernant et à leurs intérêts) et même pour les prestations complémentaires et pour l’aide sociale, ne renforce pas l’AVS. Au contraire, cela conduirait à terme à son démantèlement en raison d’un dérapage du concept des rentes AVS vers celui des rentes du 2e pilier, les néolibéraux affirmant que le financement par capitalisation permet de mieux gérer ces diversifications que le financement par répartition.
Du coup, dans la prévoyance vieillesse le 2e pilier prendrait le pas sur l’AVS actuelle. Et le financement individualisé et financiarisé par capitalisation prendrait le pas sur le financement collectif, social et solidaire par répartition. Les néolibéraux d’economiesuisse, de la Banque mondiale et du FMI atteindraient ainsi leur objectif de démantèlement d’une prévoyance vieillesse sociale financée par répartition.
Cette stratégie d’introduction dans un secteur social, public et où règne la solidarité, de mesures d’apparence purement technique, mais transformant à terme ce secteur en un secteur ou règne l’économie privée, est fréquente. C’est par exemple le cas de l’hospitalisation avec l’introduction des coûts selon les «forfaits par cas», et non plus selon le nombre de journées d’hospitalisation. Cette mesure technique, liée à un classement des cas désigné par DRG 8, a fait augmenter en Allemagne le nombre de cliniques privées par rapport à celui des hôpitaux publics: «Rappelons-nous qu’en Allemagne, avec l’introduction des forfaits par cas, la proportion des établissements privés a passé de 25% à 75% en dix ans, souligne Antoine Hubert.» 9

1. Intervention d’Alain Berset à l’occasion de ses cent jours au Conseil fédéral, RTS info, 28 mars 2012.
2. Réponse d’Alain Berset à une question du conseiller national Bruno Pezzati, Conseil national, 11 juin 2012.
3. Rapport du Conseil fédéral à l’attention de l’Assemblée fédérale sur l’avenir du 2e pilier, 24 décembre 2011.
4. Rapport précité, page 101.
5. Analyse critique de l’étude Bonoli et contre-proposition, Fédération des associations de retraités et de l’entraide en Suisse (FARES), p. 3. Disponible sur: www.fares.ch->Documents 2010 -> Conférence de presse du 8 juillet 2010.
6. Stratégie globale de la Suisse en matière de lutte contre la pauvreté, Rapport du Conseil fédéral, 31 mars 2010, p. 80.
7. USS-infos, 8/2012.
8. Diagnosis Related Groups: classification des hospitalisations en soins aigus en fonction des diagnostics et des traitements associés.
9. Le Temps, 26 juin 2012. Antoine Hubert est un des détenteurs du pôle immobilier dont font partie les cliniques privées de Genolier.
Gérard Heimberg - retraité SSP – Région Vaud

Une stratégie bien implantée
Les attaques contre l’AVS trouvent leur origine dans une stratégie néolibérale bien implantée, en Suisse et dans le monde. Il y a dix ans, economiesuisse, la fédération des entreprises suisses, déclarait en effet «qu’il n’incomberait plus prioritairement à l’AVS de couvrir les besoins vitaux, mais que ce but devrait être garanti au moyen des trois piliers ainsi que, en cas de besoin, à l’aide des PC [prestations complémentaires]» et qu’«ainsi, il sera possible de renforcer l’élément de capitalisation dans l’architecture des trois piliers, pour mieux compenser la pression exercée par le premier pilier» 1. En cela, economiesuisse est dans la droite ligne d’une stratégie mondiale de lutte des néolibéraux contre un financement de la prévoyance vieillesse par répartition, à savoir un système dans lequel, à chaque époque, les rentes des retraités sont payées grâce aux cotisations des actifs (les retraités actuels ont donc eux aussi payé, quand ils étaient actifs, les rentes des retraités de l’époque). Ce financement sans accumulation de capitaux crée une assurance sociale à gestion publique, échappant à la capitalisation, donc au monde financier de l’économie privée. Dans une étude mandatée par l’Office fédéral des assurances sociales, même le professeur Bonoli relève que «l’approche de la Banque mondiale dans le domaine des retraites vise à réduire progressivement le rôle des systèmes financiers par répartition et à promouvoir le financement par capitalisation» 2. Le Fonds monétaire international (FMI) est sur la même ligne quand il met à mal les assurances sociales des pays sollicitant son aide lors d’une crise, en leur imposant des conditions financières qui renvoient les systèmes de retraites à la capitalisation. L’OCDE et l’Union européenne ne sont pas en reste sur le sujet. Les choses sont donc claires: il y a une volonté politique des néolibéraux, malheureusement suivis par d’autres, d’utiliser la réforme en cours de l’AVS pour diminuer son rôle primordial et prioritaire de prévoyance vieillesse de base, sociale, collective, solidaire, au lieu de le renforcer et de le développer.
Réduire la prévoyance vieillesse sociale (AVS) au profit de la prévoyance vieillesse financée par capitalisation (2e et surtout 3e pilier), tel est bien leur objectif politique.
1. economiesuisse, Concept des dépenses, 2002, p. 79.
2. Giuliano Bonoli, Fabio Bertozzi, Sabine Wichmann, «Adaptation des système de retraite dans l’OCDE: quels modèles de réforme pour la Suisse?», Aspects de la sécurité sociale, no 5/08, OFAS, p. 8.
Gérard Heimberg - retraité SSP – Région Vaud

Une référence forte pour la population
Relevons que tous les Suisses ne se laissent heureusement pas prendre aux pièges. Dans le commentaire d’un sondage réalisé fin 2011 auprès de 30 000 personnes de tous âges et toutes conditions, Migros Magazine du 13 février 2012 affirme: «Tous les sondés s’accordent sur le fait que la question de l’AVS doit redevenir une priorité politique». Les néolibéraux savent cela, comme ils savent aussi que, malgré ses insuffisances dans la réalisation de son mandat constitutionnel, l’AVS conserve auprès d’une bonne partie de la population un rôle de référence sécuritaire forte.
Les néolibéraux savent donc aussi qu’il ne faut pas toujours mettre en cause l’AVS de manière trop frontale, mais aussi de manière plus subtile.
Gérard Heimberg - retraité SSP – Région Vaud

Pour une vraie réforme et un développement de l’AVS

Pour avoir simultanément les caractéristiques sociales de l’AVS actuelle et la diversification des rentes, il faut éviter les pièges des néolibéraux et ne pas craindre de fixer à la 12e révision de l’AVS d’autres objectifs que ceux, explicites ou masqués, des néolibéraux. D’abord, à court et moyen terme, un objectif prioritaire serait de parvenir progressivement à la réalisation par les rentes AVS de leur mandat constitutionnel consistant à couvrir les besoins vitaux de manière appropriée. Cette revendication, destinée à éviter la pauvreté chez les retraités, est cohérente avec celle demandant la création d’un salaire minimum destiné à éviter la pauvreté chez les actifs. A plus long terme, l’objectif est la mise au point d’un développement de l’AVS en une assurance vieillesse de base globale, toujours sociale, collective, solidaire et financée par répartition, couvrant encore les besoins vitaux, mais assurant en plus le maintien du niveau de vie antérieur, et présentant un nombre limité de diversification des rentes. Cela implique nécessairement la mise au point d’une intégration progressive du 2e pilier obligatoire dans cette AVS globale, avec conservation des acquis des personnes ayant cotisé dans le 2e pilier (1). Des études sérieuses devraient être menées dans le sens de ces objectifs.

1. Voir aussi Avenir de l’AVS – Papier de position de la Fédération des associations de retraités et d’entraide en Suisse. Disponible sur: www.fares.ch -> Documents 2011 -> Décision du comité du 21 septembre 2011.

Gérard Heimberg - retraité SSP – Région Vaud

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