Imposition des entreprises : le peuple trompé, le peuple volé

Lors de la campagne de votation sur la réforme de l’imposition des entreprises, la question du remboursement des apports en capitaux avait été peu soulevée. Les autorités y voyaient « des conséquences modestes », tout au plus de quelques dizaines de millions. Or, aujourd’hui, on parle de 47 milliards de pertes fiscales ! Comment en est-on arrivé là ?

« Dans n’importe quel pays démocratique, une telle arnaque fiscale aurait suscité l’ire des médias, plongé la classe politique dans la crise, puis provoqué soit une nouvelle votation soit un changement de majorité politique lors des élections. Dans n’importe quel pays… » (Le Courrier).

La 2e réforme de l’imposition des entreprises est entrée en vigueur au début 2011 après avoir été acceptée de justesse en votation populaire en 2008. Rappelons que le débat public avait porté pour l’essentiel sur la diminution à 60% de l’impôt sur les dividendes. Attac avait d’ailleurs mené campagne pour le référendum contre cette loi.

La question du « remboursement au détenteur de droits de participation » était passée inaperçue. Tout au plus y voyait-on une question technique sans grande importance, si ce n’est pour faciliter la succession au sein des entreprises familiales. Dans son message, le Conseil fédéral estimait « pratiquement impossible de quantifier les diminutions de recettes qui affecteront la Confédération et les cantons en raison des mesures en faveur (…) de l’introduction du principe de l’apport en capital (…). On a donc renoncé à estimer ces diminutions de recettes ». [1]

La réalité a éclaté au grand jour au printemps 2011 : plutôt que de verser des dividendes, les sociétés anonymes peuvent dorénavant, moyennant le respect d’une procédure assez stricte, prélever des sommes identiques dans leurs réserves et les faire comptabiliser comme un remboursement de capital. La différence saute aux yeux : un dividende est considéré comme un revenu et est soumis à l’impôt anticipé et à l’impôt sur le revenu, tandis que le remboursement de capital est franc d’impôt.

En mars, le DFF communiquait que les sociétés ont annoncé pour 200 milliards de francs d’apports en capital dont elles peuvent dorénavant revendiquer le remboursement net d’impôt, cela sur plusieurs années. Répondant en mai 2011 à une interpellation du conseiller aux Etats Alain Berset, le Conseil fédéral reconnaissait que le manque à gagner de la Confédération et des cantons se chiffrait en centaines de millions de francs. « Cette diminution, écrivait-il, se base sur les remboursements prévus de 8 milliards de francs par année. Il n’est pas possible de prévoir comment ces remboursements vont se développer durant ces prochaines années ».

D’autres parlaient déjà de pertes cumulées de 10 à 20 milliards de francs pour les années à venir [2].

Pertes fiscales : 47 milliards de francs

C’est ici qu’interviennent les recherches effectuées récemment par deux journaux alémaniques. La NZZ am Sonntag indique que les entreprises ont annoncé jusqu’à fin 2011 des réserves en capital pour un montant de 654 milliards de francs. Le Tages-Anzeiger évoque le chiffre de 700 milliards de francs et estime les pertes fiscales à 47 milliards au total. Et peut-être le compte n’est-il pas encore bon. Les entreprises ont en effet jusqu’au 30 juin 2012 pour communiquer l’importance de leurs réserves en capital. La NZZ cite le cas particulier de la société DKSH qui vient d’entrer en bourse. Deux de ses principaux actionnaires sont le financier Rainer-Marc Frey et la famille Peugeot. Ils vont toucher un versement extraordinaire de 249 millions de francs qui sera franc d’impôts. [3]

Une votation populaire faussée

Il est incontestable que l’absence d’informations du Conseil fédéral a faussé le résultat de la votation sur la 2e réforme de l’imposition des entreprises en 2008. Rappelons qu’il n’avait manqué que 19’000 voix pour que la loi soit refusée.

Le Tribunal fédéral qui a été saisi d’un recours demandant la répétition du vote a reconnu dans un arrêt du 20.12.2011 que « l’information donnée avant la votation n’a pas permis aux électeurs de se former une opinion fiable ». Mais de façon peu compréhensible, il a néanmoins refusé d’annuler la votation.

En d’autres termes :

- les initiateurs de cette réforme ont officiellement menti pour (s’)offrir un énorme cadeau fiscal ;

- le Conseil Fédéral s’est montré incapable d’évaluer les diminutions de recettes et n’a pas été en mesure de prévoir une perte de 47 milliards. Au vu de l’énormité de l’erreur, les politiciens et les hauts fonctionnaires, pourtant rétribués pour défendre l’intérêt du peuple en assurant une certaine redistribution des richesses et une égalité de traitement entre citoyens, sont soit totalement incapables, soit totalement corrompus, soit les deux à la fois ;

- le Tribunal fédéral enfonce le clou en reconnaissant la faute mais en donnant tort au peuple face aux possesseurs de capital.

Cette gigantesque arnaque au plus haut niveau de l’Etat et de la Justice n’augure rien de bon pour l’avenir de la Suisse.

Comment réagir ?

La décision du Tribunal fédéral a, semble-t-il, porté un coup fatal à la lutte pour rétablir la justice en donnant à la population la possibilité de revoter en connaissance de cause. Ainsi, il ne nous reste que le lancement d’une initiative populaire pour faire entendre notre voix. Cela signifie des dizaines de milliers de francs à trouver, 110’000 signatures à récolter et plusieurs années d’attente avant de pouvoir revoter. Cela n’en vaut la peine que si l’initiative demande l’effet rétroactif et la taxation normale de ce qui a été soustrait au fisc au moyen de cette loi inique.

Nous allons prendre avis auprès d’autres associations susceptibles de mener à bien cette campagne avec attac et vous tiendrons au courant de nos décisions.

Rémy Gyger

[1] Domaine public : http://www.domainepublic.ch/article…

[2] voir Angles d’Attac No 77, mars 2011 : http://www.suisse.attac.org/La-vals…

[3] voir Domaine Public : http://www.domainepublic.ch/article…

attac

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