Sanctuariser l’eau : l’eau est un droit

Elle est un besoin mais aussi un droit. Cette ressource en danger mérite un statut juridique et doit échapper à toute forme de marchandisation.

Par Christian LOSSON

Liberation.fr : lundi 6 novembre 2006

La mondialisation dérégulée engendre des «maux publics mondiaux» – l’accaparement de biens matériels ou immatériels –, et il convient de leur opposer les «biens publics mondiaux». Mais il y a deux façons de penser ces «biens». Soit assurer que le marché, en ce temps d’effacement du rôle de l’Etat, doit donner le la. Soit estimer, à contre-courant, que développement durable et laissez-faire sont incompatibles. C’est la thèse de penseurs-activistes de gauche, emmenés par l’Italien Riccardo Petrella, qui parlent alors de «res publica universelle». Et concentrent leur lutte sur l’un des enjeux majeurs du XXIe siècle : l’eau. «C’est la vie, et la vie, c’est un droit humain indivisible et inaliénable», rappelle Petrella pour qui «la droite, elle, n’y voit que la gestion d’une ressource naturelle.»


Distribution gratuite. Si l’eau est un droit et non un besoin, il s’agit alors de lui donner un statut juridique «adapté à la nature vitale et non substituable», estime, de son côté, la juriste canadienne Sylvie Paquerot, c’est-à-dire un statut qui «vienne remplir un vide du droit international». Si l’accès à l’eau est un droit, il doit échapper à toute forme de marchandisation. CQFD. Le Contrat mondial pour l’eau, coalition d’ONG, de réseaux et de mouvements sociaux du monde entier, milite donc pour une gestion «démocratique, solidaire et durable», assurée par des règles et des institutions de nature publique. Excluant toute privatisation, même légère, comme l’ouverture de capital. Il faut pouvoir assurer sa distribution gratuite à tous : 40 litres d’eau par jour et par personne.
Bien que l’ONU ait, dès 1977, rappelé que «tout le monde a accès à l’eau potable en quantité et qualité égales pour ses besoins essentiels», près de trente ans plus tard un enfant meurt toutes les huit secondes après avoir bu de l’eau contaminée. Il y a encore une décennie, la question de l’eau s’articulait autour des conflits transfrontaliers. Puis les vents de libéralisation comme credo du développement ont soufflé. Comment sortir les pays pauvres des trappes de la pauvreté ? En privatisant les services publics, jugés inefficaces, à commencer par ceux de l’eau. Condition sine qua non pour obtenir des prêts ou être éligibles aux allègements de dettes publiques. Les opérateurs privés, dont les deux géants mondiaux sont français (Suez et Veolia), croient en la martingale. «Mais ils ne se concentrent que sur des grandes villes, limitent leurs investissements et augmentent le prix de l’eau, rappelle l’Indienne Vandana Shiva. Au-delà, les marchands veulent marchandiser les fleuves via des barrages, parce que l’eau ne peut, selon eux, couler librement dans la nature.»
En 2000, les Nations unies lancent les Objectifs du millénaire, qui visent, notamment, à réduire de moitié d’ici à 2015 le 1,1 milliard de personnes privées d’eau potable et les 2,4 milliards sans installations sanitaires élémentaires. A Johannesburg, en 2002, l’eau a irrigué bien des promesses. Notamment celle de multiplier les partenariats public-privé (PPP), ainsi que l’a développé en 2003 Michel Camdessus, ex-directeur général du FMI, dans un rapport-plaidoyer pour une participation du secteur privé au financement de l’eau et la mise en place d’une «tarification soutenable». Petrella appelle ces fameux PPP la «privatisation du politique»… «Quand Camdessus dit que, sans le privé, impossible de trouver 80 milliards de dollars (66 milliards d’euros, ndlr) additionnels par an pour financer l’eau pour tous, nous démontrons qu’avec moitié moins, financé par une nouvelle fiscalité solidaire mondiale, c’est possible d’y parvenir.»

Dans les limbes. Pour l’instant, les PPP restent dans les limbes. De l’Inde à l’Argentine, de la Bolivie aux Pays-Bas, de l’Italie à l’Uruguay, de la France (lire ci-contre) à l’Afrique du Sud, les luttes se multiplient contre les concessions privées de l’eau. Les institutions internationales comme la Banque mondiale commencent à s’interroger. Les élus locaux ou européens, guère sensibles au sujet, découvrent l’ampleur des enjeux. Si le secteur privé ne touche que 5 % du marché de l’eau douce, les accords de libre-échange dans le monde ouvrent la voie à un marché estimé à 330 milliards d’euros. Marché qu’il faut accepter de mettre en concurrence dans le cadre de l’AGCS (Accord général sur le commerce lié au service) dans le cadre des négociations en cours à l’OMC ou de la future Zone de libre-échange des Amériques (Zlea). La pétrolisation de l’eau, sa rareté, en fait une valeur en hausse. Qu’il faut sanctuariser et non sacrifier sur l’autel du marché, répètent les acteurs du Contrat mondial de l’eau.

2 commentaires à “Sanctuariser l'eau : l'eau est un droit ”


  1. 1 Jérémie 26 juil 2008 à 2:52

    Encore un papier qui enfonce toutes les portes ouvertes. En tant que spécialiste du développement, tout ce charabia ne me convainc pas.
    Tout les clichés sont là, et empêchent la précision, donc la réflexion : obsession de la gratuité (non, l’eau ne peut pas être gratuite, les impôts au moins la paient, ce qui pose tout le problème dans les pays en développement, ou certains Etats ne parviennent pas toujours à lever les impôts), thème éculé de la « marchandisation » (ceux qui connaissent un peu l’Afrique savent que l’eau est une marchandise, apportée notamment par des porteurs d’eau, et cela n’empêche pas que cela soit un droit et un bien commun), thème de la « pétrolisation » (alors que le pétrole est une ressource non renouvelable, contrairement à l’eau), critique des multinationales (alors même que l’on souligne qu’elles ne font que 5% du marché), appel à une taxe « deus ex machina » qui sauverait tout (alors même que l’on ne parvient pas à rassembler assez de fonds publics pour faire avancer enfin les objectifs du millénaire). Bref, de l’idéologie un peu caricaturale, qui idéalise le public et dénigre systématiquement toute initiative privée sans prendre ne compte les avancées qui ont pu être faite lorsque gouvernants, associations et entreprises spécialisées coopèrent. La lutte contre la pauvreté mérite mieux, hélas.

  2. 2 Andrea Eggli 27 août 2008 à 6:02

    Vous avez raison: la distribution de l’eau n’est pas gratuite, elle est évidemment financée par l’impôt. C’est toujours plus juste et équitable, puisqu’il est payé, en principe, selon la capacité contributive.
    Les problèmes des pays en développement, on peut en connaître sans être spécialiste du développement. Regardez l’Amérique latine. Pays sous-développés, la privatisation de l’eau ne s’est pas passée sans heurts, et surtout a énormément renchéri la connexion au réseau et le prix de l’utilisation. A tel point qu’ils ont dû revenir en arrière.
    L’eau ne peut être considérée comme n’importe quelle marchandise, même si elle est véhiculée par les porteurs d’eau en Afrique. Toute la discussion autour de la différence entre eau : droit ou besoin, correspond au lobbying fait par les multinationales qui veulent pouvoir continuer de la commercialiser et plus encore, pas seulement en bouteille. Autrement, la définition eau, droit de l’individu aura été choisie.
    Vous affirmez que l’eau est une ressource renouvelable, je ne suis pas si sûre et vous, en tant que spécialiste du développement, vous devriez le savoir. L’eau utilisée doit être épurée, il faut veiller à ce qu’elle ne stagne pas et à ce que les maladies ne se transmettent pas à travers elle, entraînant des problèmes sanitaires non négligeables.
    Il n’y a pas que nous, Acidus, et les autres associations et ONG qui nous préoccupons de l’avenir de l’eau. Les travailleurs des services publics aussi. Il faut se rappeler toujours des désastres qu’a connu la privatisation de l’électricité aux Etats-Unis ou celle des trains en Angleterre, par exemple. Le privé n’a pas entretenu les réseaux et cela a donné des problèmes graves. Pourquoi pas le maintenir en mains publiques? Cela permet une meilleure répartition des richesses produites dans une société donnée. Et cela n’empêche pas de vouloir améliorer le service.
    La lutte contre la pauvreté mérite le mieux, vous avez raison. Mais si le privé demande aux pauvres de payer une dizaine de salaires pour se connecter au réseau (comme c’était le cas au Pérou), nous ne sommes pas sortis de l’auberge.



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